L'enfant d'en haut / Ursula Meier : Entre deux mondes
Cinéma

L’enfant d’en haut / Ursula Meier : Entre deux mondes

En mode moins absurde et décalé que Home, Ursula Meier signe avec L’enfant d’en haut un touchant conte social sur l’enfance.

Ce qui frappe d’emblée en comparant Home et L’enfant d’en haut d’Ursula Meier, c’est la force des lieux. Ainsi, dans Home, fable sur l’enfermement, l’action était campée dans une maison au bord d’une autoroute abandonnée. Dans L’enfant d’en haut, le jeune Simon (Kacey Mottet Klein) et sa grande soeur Louise (Léa Seydoux) vivent dans une tour HLM au pied d’une montagne où est située une luxueuse station de ski.

"Les idées de mes films naissent souvent dans des lieux, explique la réalisatrice rencontrée lors du FNC. Il y a comme une espèce de big bang entre le fond et la forme, l’idée et le lieu. Cette plaine industrielle en Suisse, avec ses usines au pied des montagnes, sa verticalité, m’avait beaucoup fascinée. J’aimais suivre du regard la fumée des usines se mêlant aux nuages au-dessus des montagnes, des stations de ski de luxe. Pour les besoins du film, je me suis amusée à recréer une cartographie fictive parce que j’avais envie de quelque chose d’universel, qu’on ne reconnaisse pas les lieux."

Sa soeur au chômage, Simon devient le chef de famille en allant piller chaque jour les riches vacanciers pour ensuite revendre leurs biens aux pauvres, tel un petit Robin des bois capitaliste. "À un moment donné, je me suis rendu compte que le câble du téléphérique, qui relie le haut et le bas, allait tendre le film. Quand j’ai compris ça, je me suis mise à écrire le scénario. Le monde du haut est un peu un jardin des délices, c’est aussi l’imaginaire de Simon qui s’y invente une autre vie. Au tournage, avec le petit comédien et la chef opératrice Agnès Godard, j’ai compris que la télécabine, c’était sa maison. C’est un film "entre", en fait: entre le haut et le bas, entre l’enfance et l’adolescence."

"Une station est un lieu où tout repose sur la confiance; on laisse nos skis à l’entrée, nos lunettes, notre portefeuille, poursuit Ursula Meier. Tout repose aussi sur la frime, on y est anonyme avec nos casques, nos masques. C’est une scène de théâtre dont on a aussi voulu montrer les coulisses. On voulait aller contre le cliché des riches et des pauvres, décoller du misérabilisme. C’est marrant parce que ça me fait penser à Metropolis de Fritz Lang, avec tous ces gens qui travaillent en bas pour faire vivre la ville et ceux qui sont en haut."

En voyant Simon changer d’univers à bord d’une télécabine, on songe davantage au carrosse de Cendrillon qu’au classique de science-fiction allemand… "Dans Home, on voyait tout de suite qu’on était dans une fable, avec un côté décalé, un décor fort que j’ai dû créer de toutes pièces. Pour celui-ci, tout ce qu’on a essayé de faire à l’écriture, à la mise en scène, à la mise en images, c’est décoller du réel, partir de lieux réels pour aller vers le conte. En écrivant, on pensait au Petit Poucet, à Hansel et Gretel. Ce qui est super, c’est que l’idée du conte a tout contaminé."

En salle le 16 novembre

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L’enfant d’en haut

De facture réaliste, L’enfant d’en haut ravit d’abord par ses nombreuses références aux contes (Le Petit Poucet, Cendrillon, Blanche-Neige, Raiponce, Peter Pan) qu’Ursula Meier actualise et amalgame avec finesse sans se lancer dans une leçon de morale. Alors qu’elle fait un clin d’oeil au cinéma social de Ken Loach par la présence de Martin Compston (Sweet Sixteen) en complice du héros, la réalisatrice se plaît à accentuer l’aspect merveilleux en misant sur la blondeur de fée de Gillian Anderson et le physique d’ogre de Jean-François Stévenin. Porté par l’énigmatique Léa Seydoux, qui évoque une Wendy déchue au milieu des garçons perdus, et le prodigieux Kacey Mottet Klein, ce conte sur l’enfance dépayse par son univers insolite et bouleverse par la détresse sociale qu’il dépeint en catimini.