Guy Maddin & Carole Laure / Seances : Guy des esprits
Jusqu’au 20 juillet, au Centre Phi, le cinéaste Guy Maddin convie les cinéphiles à venir assister à ses Seances, où il invoque les fantômes afin de l’aider à recréer des films disparus à jamais.
Durant 13 jours, le Manitobain Guy Maddin (My Winnipeg, The Saddest Music in the World, Keyhole) occupe le Centre Phi afin d’y faire revivre 12 films dont on ne retrouve plus la trace. Fort de son expérience au Centre Pompidou de l’an dernier, où il a notamment tourné avec Maria de Meideros, Mathieu Amalric et Udo Kier, et d’une filmographie aussi remarquable qu’inclassable, le cinéaste n’a pas eu à prier longtemps la soixantaine d’acteurs québécois qui se prêteront à l’exercice.
Pour sa part, Carole Laure, qui venait tout juste de tourner dans Saint, Devil and Woman (Frederick Sullivan, 1916) au moment de la rencontre et qui interprétera le premier rôle dans Gabriella, the Lamplighter of the Harbour (Elvira Notari, 1919) le 17 juillet, n’a pas hésité lorsque Maddin lui a envoyé les 12 synopsis.
«C’est un grand réalisateur, un grand artiste, quelqu’un d’extrêmement créatif, confie l’actrice. Il est fascinant, chaleureux, fabuleux. Il a une sensibilité incroyable. Je n’ai jamais tourné dans ce genre de film; c’est formidable d’avoir la chance de participer à une œuvre de quelqu’un qu’on admire. Je n’ai aucune idée de ce qui restera de ma participation au montage final, mais ça ne me dérange pas parce que ce n’est pas un tournage conventionnel. Un projet comme celui-là, c’est un cadeau du ciel.»
Rencontré le jour du tournage de Trumpet Island (Tom Terriss, 1920), auquel participaient Céline Bonnier et Clara Furey, Maddin dévoile son approche avec les acteurs: «Carole est merveilleuse, il faut lorsqu’elle est en transe! Avant chaque tournage, j’amène les acteurs à entrer en transe, ce qui est très facile puisque tous les artistes sont en transe lorsqu’ils s’investissent dans leur travail. Clara Furey entre dans de furieuses transes qui sont incroyables… Je tente de faire cela de façon ludique et j’insiste pour dire qu’il s’agit d’un jeu. Je suis très chanceux de faire ce travail, mais ça ne paye pas énormément, alors il faut que cela demeure un jeu. Plus je joue de façon insouciante et bordélique, comme un enfant qui colorie au-delà des lignes, plus d’heureux accidents se produisent; plus je suis méticuleux et attentionné, plus je deviens banal et ennuyant.»
Si elle a trouvé sur le coup l’exercice de la transe plutôt amusant, Carole Laure avance qu’elle pourrait peut-être y avoir recours lors de son prochain tournage. «Quand j’étais jeune, se souvient-elle, je faisais des films avec Gilles Carle où il y avait des parts d’improvisation; c’est assez rare que l’on fasse cela au cinéma. J’aimais faire des séances improvisées et Guy est ouvert à tout ce que l’on propose. Il m’a envoyé un mail dans lequel il m’expliquait qu’il ne fallait pas que je sois surprise s’il me parle pendant les prises. Guy nous guide lorsqu’il n’y a pas de texte; ce sont des impros qu’il dirige. Il a une manière de tourner qui est géniale et pas du tout classique: j’adore ça!»
Alors que chaque tournage est capté et diffusé en direct en circuit fermé au Centre Phi, le public est également invité à venir sur le plateau afin de découvrir les méthodes non conventionnelles de Guy Maddin. «J’aime le fait que les gens puissent venir assister au tournage, avoue-t-il. En fait, j’aimerais bien qu’ils viennent plus nombreux. Ma première fois sur un plateau de tournage remonte à l’époque où j’ai fait de la figuration dans un film où jouait Ellen Burstyn; je devais avoir 22 ans. Je ne revenais pas du fait que les autres figurants et moi devions attendre plusieurs heures pour tourner une courte scène. Je trouvais cela horrible et ennuyant. Je m’étais promis que si un jour je faisais un film, et je n’avais même pas l’idée de devenir réalisateur à l’époque, je ferais ça tout rapidement comme cela se déroule à l’écran.»
À cette fin, Maddin s’est excusé auprès des acteurs et des artisans en leur annonçant qu’il allait par moments commencer à tourner même si les accessoires n’étaient pas tous en place et que l’éclairage n’était pas encore au point. À observer l’ambiance sur le plateau, on pourrait croire que cela ne pose aucun problème.
«À Montréal, je ressens vraiment l’esprit de la communauté; il y a une extraordinaire communauté cinématographique, il y a énormément d’artisans doués. Les gens sont chaleureux et amicaux; je me sens vraiment le bienvenu à Montréal. J’ai envie de faire du cinéma ici. Je sens l’excitation des artistes de participer à ce projet. Je me sens vraiment flatté et cela facilite grandement les choses pour moi. À Winnipeg, je ne ressens plus aucun plaisir à travailler, malgré le soutien que j’ai toujours du Manitoba Film and Music. Je pense que la communauté cinématographique là-bas ne se soucie pas de moi; je ne veux pas dire qu’elle devrait le faire, mais quand je compare la joie et l’enthousiasme dont je suis témoin ici avec l’apathie misérable qui règne là-bas, je crois que je devrais déménager à Montréal…», conclut Guy Maddin avant d’aller rejoindre ses fantômes sur le plateau.
Jusqu’au 20 juillet
Au Centre Phi
Des nouvelles de Carole Laure
Dès le 15 septembre, Carole Laure (Les fils de Marie, CQ2, La capture) entreprendra le tournage de son quatrième long métrage, lequel mettra notamment en vedette Benoît McGinnis, Pascale Bussières, Éric Robidoux et Céline Bonnier. «Je suis très mauvaise avec les titres – CQ2 n’avait pas d’allure! –, alors pour l’instant, mon film s’appelle Exit, comme dans les théâtres. Un mot, je suis tannée des grands titres! Dans Exit, on retrouve des jeunes adultes qui montent un projet multidisciplinaire. L’action se déroule dans une salle de répétition, donc ça me permet de choisir différents chorégraphes. Je montre comment ces jeunes peuvent être théâtraux dans la vie comme sur scène, mais de façon différente. Cette génération a été élevée avec un ordinateur: ça zappe, ça texte, ça fait tout en même temps! Ils vivent toutes sortes de nouvelles angoisses. Ça devient trash, mais d’une manière sophistiquée. Je vois la beauté de leur âme dans leur art. Il y aura des danseurs, des chanteurs et la musique de Lewis Furey, mais ce n’est pas une comédie musicale. Mon sujet, c’est Montréal et le multidisciplinaire.»