Hors compétition au FFM: La religieuse : Adoration
Accueillie dans les fous rires à la 63e Berlinale, l’adaptation de La religieuse de Diderot de Guillaume Nicloux imposera-t-elle le respect chez les fidèles spectateurs du 37e FFM?
Il y a une vingtaine d’années, Guillaume Nicloux (Cliente, Cette femme-là) était venu à la Berlinale présenter un film expérimental. À sa grande surprise, certains spectateurs, sans doute choqués parce qu’ils voyaient à l’écran, en étaient venus aux coups. Cette année, le réalisateur français a plus ou moins été décontenancé par les rires provoqués par son adaptation de La religieuse de Diderot, ou plutôt par le jeu grotesque d’Isabelle Huppert en religieuse énamourée d’une jeune novice (Pauline Étienne, étoile montante du cinéma belge). «Il n’y a rien de plus chiant que la tiédeur, l’unanimité, concédait-il lors d’une entrevue organisée deux jours après la projection au Berlinale Palast. On en a parlé avec Isabelle, on avait l’impression que l’ironie et la distance qu’installait Diderot nous permettaient de créer des soupapes de décompression.»
Présenté hors compétition au FFM, La religieuse n’est pas un mauvais film en soi. Ainsi, il propose un intéressant décalage entre la joliesse de la photographie, accentuée par la douceur des éclairages à la bougie, et la cruauté du destin de cette jeune Suzanne (Étienne), fille illégitime condamnée à expier les péchés de sa mère (Martina Gedeck) en prenant le voile. Durant son noviciat, la religieuse rencontrera trois mères supérieures: la bonne Madame de Moni (Françoise Lebrun), la sadique sœur Christine (Louise Bourgoin), toutes deux du couvent Sainte-Marie, et celle, exaltée, du couvent Saint-Eutrope. Cette dernière apparaissant au troisième acte est interprétée par Isabelle Huppert, qui ne s’attendait pas à déclencher autant de rires le soir de la première.
«J’ai été très surprise par les réactions du public hier, racontait-elle lors d’une rencontre de presse à l’hôtel Adlon. C’est vrai que le roman de Diderot est un roman satirique; il s’autorise à une certaine distance ironique dans son roman, qui s’exerce surtout dans la troisième partie avec l’arrivée de cette religieuse. Je n’ai pas pensé faire rire, mais je crois que c’est Diderot qui est plus fort que tout le monde et qu’il est très, très présent dans cette partie du film. Comme tous les grands romans, on peut en faire des interprétations différentes, les personnages peuvent raisonner de façon différente au fur et mesure des relectures ou de l’époque. Peut-être aussi y a-t-il une espèce de relâchement à ce moment-là de l’histoire où cette pauvre fille a traversé tellement d’épreuves, alors tout d’un coup, cette dernière épreuve qu’elle affronte, soit l’amour envahissant de cette religieuse, est presque un peu drôle par rapport à ce qu’elle a enduré précédemment. Il y a toute une série d’éléments qui fait que c’est à la fois comique et tragique parce que quand même, elle en meurt!»
Vue dans Élève libre de Joachim Lafosse et Qu’un seul tienne et les autres suivront de Léa Fehner, la talentueuse Pauline Étienne, à qui certains journalistes de la presse étrangère décerneraient l’Ours d’argent pour son interprétation fiévreuse d’une novice rebelle dans La religieuse de Guillaume Nicloux, a découvert, à l’instar d’Isabelle Huppert, le potentiel comique du film lors de sa présentation devant public.
«Sur le plateau, je n’aurais jamais cru que cela pouvait être ridicule, avouait-elle à propos des manifestations amoureuses de la mère supérieure incarnée par Huppert à l’égard de son personnage. J’étais tellement concentrée sur le rôle, sur ce que j’avais à faire que je n’arrivais pas à me rendre compte de l’absurdité des scènes. Du coup, je trouve ça pas mal; la première partie est si lourde et dure que le fait que les gens rigolent leur permet de respirer un bon coup. Je crois que ce qui a fait rire les gens, c’est l’humour de Guillaume; il y a quand même une certaine intelligence là-dedans. Je ne sais pas s’il savait qu’il y aurait des rires. De choisir cette chanson limite grivoise que Suzanne chante devant ce parterre de sœurs, c’est une très bonne idée.»
Autres temps, autres moeurs
Contrairement à Isabelle Huppert qui n’a pas fait de recherches pour se préparer au rôle, la sage Pauline Étienne a fait consciencieusement ses devoirs. «J’ai fait des recherches sur le contexte historique, sur les ordres religieux à cette époque, j’ai été dans un couvent pendant deux jours. Comme Suzanne, je me suis échappée très vite. Je ne suis pas du tout croyante et je voulais voir un peu l’ambiance d’un monastère. Je n’ai pas eu de relations avec les religieuses parce qu’elles sont vraiment cloîtrées dans un endroit du couvent. Avec les autres personnes en retraite, on les voyait seulement au moment des prières, on n’avait pas l’occasion de parler beaucoup avec elles. Je me suis échappée car les personnes avec qui j’étais étaient moins tolérantes avec le fait que je ne sois pas croyante, alors que les sœurs étaient très ouvertes», confiait-elle dans l’un des salons du Berlinale Palast.
Alors que la Suzanne imaginée par Guillaume Nicloux s’avère une battante plutôt qu’une jeune fille s’érigeant en victime comme chez Diderot, ou comme l’avait dépeinte Jacques Rivette dans son adaptation de 1966, laquelle mettait en vedette Anna Karina et Micheline Presle, certains ont vu dans cette relecture de La religieuse une version féministe: «Je n’ai pas le droit de me dire féministe, c’est aux femmes de le dire, mentionnait le réalisateur. Je suis pour l’égalité totale entre les sexes. Je continue d’être affligé quand j’entends parler de parité avec cette espèce de saupoudrage. À l’époque de Diderot, il n’y avait pas d’échappatoire possible, à l’exception de la mort. Au bout du chemin du film de Rivette, c’était la censure, d’où sa fin assez pessimiste. Malgré le cynisme ambiant, il y a une combativité et une résistance qui n’ont jamais été aussi existantes. Du coup, il n’était pas envisageable d’aller du point A à la mort.»
Si la version de Nicloux prend quelques libertés avec le récit original, lui offrant une fin pleine d’espoir, il n’est pas dit que l’Église ne sera pas choquée par certains passages; rappelons que le film de Rivette avait subi les foudres des autorités religieuses. «L’Église catholique s’outre de pas grand-chose, alors pourquoi ne le serait-elle pas par ce film? Même le livre a été interdit pendant très longtemps, jusqu’aux années 1930. Il a été publié, a été retiré. Inconsciemment, Diderot lui-même s’était censuré puisqu’il avait perdu son manuscrit. Dans un premier temps, le livre avait été traduit en allemand par Goethe, donc, la première publication française était la traduction de la version de Goethe. Le manuscrit original a été retrouvé par hasard au 19e siècle. Je trouve ça assez incroyable que Diderot lui-même s’est érigé en auto-censure. Une fois que le livre a été finalement retrouvé, il a été interdit pendant très longtemps. Et on voit quand même vers quelles problématiques malheureuses et actuelles il peut nous ramener», conclut Isabelle Huppert.
Au Quartier Latin, le 26 août, à 19h. Au Quartier Latin, le 28 août, à 11h.
Les frais du voyage à Berlin ont été payés par Téléfilm Canada.