Juliette Binoche et Bruno Dumont / Camille Claudel 1915 : Du génie à la folie
Juliette Binoche prête ses traits à la tristement célèbre sculptrice 70 ans après la mort de celle-ci dans Camille Claudel 1915 de Bruno Dumont.
Film austère, âpre, dépouillé, lent, ponctué de cris et de pleurs à fendre l’âme, Camille Claudel 1915 illustre avec force la détresse de l’artiste (Juliette Binoche) enfermée contre son gré dans un asile psychiatrique et s’accrochant vainement à l’espoir que son frère, le poète Paul Claudel (Jean-Luc Vincent), vienne enfin la libérer. Afin de s’approcher de la vérité, Bruno Dumont (L’humanité) s’est inspiré de la correspondance de Camille et de son journal médical.
«Quand j’ai découvert la vie recluse de Camille Claudel, racontait le cinéaste à la 63e Berlinale où son film figurait en compétition officielle, j’ai compris que la vie à l’asile était très, très simple, qu’elle n’y faisait pas grand-chose, que sa seule joie, c’était la visite de son frère Paul. Au cinéma, il est important d’avoir un motif assez simple. Quand l’histoire est simple, la cinématographie a une grande capacité à se déployer.»
Ayant lu un livre sur Camille Claudel lorsqu’elle avait 16 ans, Juliette Binoche, qui a le même âge que le personnage au moment du récit que raconte Dumont, n’a pas hésité à aller à la rencontre de l’artiste, bien que la folie de cette dernière lui faisait peur. «J’avais envie de parler de Camille enfermée 30 ans, même si on raconte trois jours de sa vie, dans cette injustice face à une société, à une famille, à un non-dit. C’est à la fois très simple et complexe comme situation: elle était enfermée et elle n’avait pas le droit de correspondre avec l’extérieur, donc c’était pire qu’une prison. De ce fait, on endosse sans compter, sans penser aux conséquences. Quand c’est assumé, ce n’est pas lourd, cela devient une passion», confiait celle qui a touché le réalisateur en lui faisant savoir qu’elle désirait travailler avec lui.
Par souci de réalisme, Bruno Dumont a engagé des handicapés intellectuels pour incarner les patients du pensionnat psychiatrique: «Ce qui m’a frappé dans la correspondance de Camille Claudel, c’est la façon dont elle parlait de l’environnement psychiatrique. Elle a toujours dit que c’était douloureux, que ces femmes criaient, que la promiscuité était insupportable et que tout ce temps passé dans cet univers mental déchiré était pour elle une souffrance. Je me suis demandé comment je pouvais restituer une vérité de ces conditions de vie. J’ai donc tout de suite eu envie de travailler avec des personnes handicapées. Le film est d’ailleurs assez documentaire sur la vérité de leur maladie.»
Frère et sœur
Si Camille a fini ses jours internée, loin de sa famille, le lien qui l’unissait à Paul ne s’est jamais réellement rompu: «Il était très proche de sa sœur; c’étaient des artistes, rappelait Jean-Luc Vincent. Il y a quelque chose entre eux de très fort; ce qui est un peu compliqué pour nous à comprendre. C’était à moi ensuite d’être le plus sincère, le plus proche de ce que je pouvais être et de ce que pouvait être Paul Claudel. Ce n’était pas mon rôle de le juger moralement.»
«Il était extravagant et halluciné, expliquait Dumont. Il disait lui-même être aussi dément que sa sœur. Sa seule protection, c’est Dieu, mais on sent qu’il est dans un délire spirituel total. Lui, il peut être dehors parce qu’il est un homme; elle, non. Comme le dit Paul à la fin, il y a un rapport entre l’art et la folie. L’art fait monter les facultés humaines à un niveau tel que la défaillance est très proche. Celle de Camille Claudel, c’est d’avoir tellement aimé un homme, Auguste Rodin, et de s’être élevée tellement haut dans un art à une époque où on ne l’a pas reconnue, qu’elle est tombée en déchéance.»
Les frais du voyage à Berlin ont été payés par Téléfilm Canada.