FNC: Interior, leather bar : Quand James Franco flirte avec la porno gaie
Dans le faux documentaire Interior, leather bar, James Franco et Travis Matthews tentent de dénoncer l’hypocrisie d’un cinéma américain qui serait effrayé par les scènes de sexe gai. Un film à la forme stimulante mais qui pose les mauvaises questions.
En 1980, le film Cruising, de William Friedkin, est présenté en salles dans une version profondément tronquée: 45 minutes de scènes se déroulant dans un bar gai sadomaso ont été coupées et détruites après que des groupes homosexuels en aient dénoncé le caractère caricatural et jugé que ces scènes posaient un regard négatif sur la communauté gaie, qu’elles étaient carrément homophobes.
Peu de gens ont vu ces images. Voilà un fait qui suffit au comédien et réalisateur James Franco pour imaginer un docu-fiction sur la place du sexe gai à l’écran. En compagnie du réalisateur de porno gai Travis Matthews, il se lance dans le projet de réinventer ces scènes coupées, de les imaginer et de les tourner sans censures, exposant les bites et les culs comme la salive et la sueur. Le film invente en fait le tournage de ces scènes et montre les questionnements de l’acteur principal, qui se demande s’il n’est pas carrément atterri dans un porno et si le film d’art peut vraiment flirter à ce point avec le sexe explicite sans sombrer dans la vulgaire pornographie. Or, en 2013, alors que la porno gaie et le cinéma de fiction ont maintes fois communié, du moins en Europe et particulièrement en France, la question semble un peu désuète et plutôt conservatrice. Pensons seulement à L’inconnu du lac, d’Alain Guiraudie, qui est également de la programmation de cette édition du FNC, ou à L’homme au bain, de Christophe Honoré. Il existe aussi des exemples dans le cinéma indépendant américain, comme le fameux Shortbus, de John Cameron Mitchel. Ayant en tête ces exemples, les discussions de James Franco avec son acteur principal, Val Lauren, paraissent naïves et puritaines, d’autant qu’elles sont plutôt superficielles. Elles sont peut-être pertinentes dans un contexte de pruderie hollywoodienne. Mais le monde ne se résume pas à Hollywood.
Plus intéressantes sont les questions sous-jacentes, que le film ne fait qu’effleurer et qui ne sont pas non plus très originales. Les tabous sociaux devraient-ils préoccuper les artistes ou doivent-ils en faire fi? Y-a-t-il encore des conditionnements qui dictent les lois de la beauté et qui asphyxient l’art contemporain ou lui mettent des barrières? Jusqu’où l’acteur doit-il aller pour satisfaire un réalisateur et pour servir une oeuvre? Le film explore cette idée du pouvoir d’un artiste influent sur ses collaborateurs: la figure du metteur en scène tyrannique se dessine en filigrane, même s’il règne sur le plateau une certaine douceur. James Franco étant un artiste adulé, c’est le pouvoir de la célébrité qui agit sur ses acteurs et qui incite plusieurs d’entre eux à oser le sexe explicite devant caméra et à se lancer dans ce tournage en ne sachant pas trop dans quoi ils s’embarquent (les indications des réalisateurs demeurent volontairement évasives et il ne semble pas y avoir de véritable script). C’est l’expérience de Milgram en version soft porn: soumis à une autorité crédible, l’humain est prêt à défier ses propres limites.
Caméra épaule, plans chambranlants et lumière naturelle: aucun effet n’est négligé pour faire croire à l’authenticité du tournage et créer une illusion d’observer un tournage secret, d’avoir accès aux coulisses d’une aventure illicite. Or, Travis et Franco en font peut-être un peu trop: on y croit qu’à demi.