Laurence Leboeuf / La petite reine : Jusqu'aux plus hauts sommets
Été 2014

Laurence Leboeuf / La petite reine : Jusqu’aux plus hauts sommets

En grande partie inspiré par l’histoire de la cycliste Geneviève Jeanson et sa descente dans les enfers du dopage sportif, La petite reine montre une Laurence Leboeuf à vélo dans une tension dramatique constante, obnubilée par une quête de succès sans limites. Entrevue avec la comédienne et le réalisateur Alexis Durand-Brault.

Il aime les personnages qui, derrière un voile de perfection, sombrent dans les ténèbres. Après Ma fille, mon ange, Alexis Durand-Brault s’intéresse au sort de Geneviève Jeanson, dont le parcours héroïque est désormais indissociable de la révélation de son dopage par les journalistes de l’émission Enquête qui lui ont fait avouer ses fautes à heure de grande écoute. L’histoire de Jeanson, à ses yeux, est révélatrice de l’obsession de nos sociétés pour la performance et les extrémités inquiétantes qu’elles peuvent prendre dans la vie des héros devant lesquels nos médias agitent leurs caméras.

Geneviève Jeanson (rebaptisée Julie Arsenault dans le film), c’est Icare qui se brûle les ailes en touchant la pointe du soleil. C’est l’ambition démesurée, l’ego surdimensionné, mais surtout la quête du succès ultime et inatteignable. À une échelle personnelle, on en sort rarement vraiment victorieux, pense le réalisateur. «Dans n’importe quel domaine, seuls les meilleurs sont vraiment considérés. On est dans une société qui valorise les surhumains, les héros plus grands que nature. Et je pense qu’on oublie trop souvent que pour atteindre aujourd’hui ce genre de sommets, pour être au top des exigences d’aujourd’hui, il faut souvent être un peu fou. La réussite devient pour ces gens-là une obsession, une psychose.»

Sans respecter la chronologie réelle des événements ni se soucier trop obstinément des détails techniques, le film cherche à restituer la courbe émotive expérimentée au fil des années par l’athlète, à capter le trouble grandissant en elle. «Geneviève Jeanson, dit le réalisateur, a fini par considérer la violence de son entraîneur comme une chose normale, comme un mal nécessaire pour atteindre son objectif. Être prêt à supporter tant de souffrances dans l’unique but d’être le meilleur, c’est un peu insensé et c’est un peu cette idée que le film développe, avec le maximum de nuances possibles. À cela s’ajoutent aussi l’obsession de la visibilité et l’obsession d’être aimée, qui pousse le personnage dans une quête malsaine de reconnaissance par son père.»

Multipliant les plans tournoyants qui créent autour du personnage une agitation permanente et une tension continue (qui est aussi accentuée par la trame sonore), le film montre la cycliste sur la corde raide. Laurence Leboeuf, en plus de s’entraîner intensivement au vélo, a dû relever le défi de cette partition costaude, qui ne lui donne aucun répit. «Il fallait, dit-elle, trouver comment jouer cela sans tomber dans l’hystérie, comment nuancer cette situation tendue: ne pas toujours jouer la victime, être un peu le bourreau, jongler avec les moments de solitude et de brisure en les mettant en contraste avec les moments de solidité et d’aplomb.»

C’est aussi une écorchée qui vit dans la plus grande solitude, malgré le discours qu’elle tient sur l’importance de son équipe et malgré l’hyperprésence de son entourage. «Julie, dit la comédienne, est en fait une mésadaptée sociale; elle est dans une situation d’isolement, de solitude extrême, dans un cercle vicieux d’entraînement qui occulte toutes les autres dimensions de sa personnalité. Le vélo prend toute la place et s’est immiscé dans toutes ses relations avec les autres, elle ne peut jamais y échapper et ne peut jamais aller voir ailleurs si elle y est. Elle est dans une véritable crise d’identité. À la fin du film, on la verra embrasser une nouvelle quête, pour essayer de se retrouver. Elle réussit à se défaire du culte de la gloire, à se libérer des chaînes de la performance. Mais pas à n’importe quel prix.»

On a d’ailleurs de la difficulté à percevoir dans le film sa passion pour le sport. «Je pense, dit Alexis Durand-Brault, que Geneviève Jeanson n’aimait pas le vélo. Comme Agassi qui commence sa biographie en disant qu’il déteste le tennis. Elle le faisait parce qu’elle était douée, parce qu’elle avait besoin de se dépasser physiquement, parce qu’elle avait un grand désir de victoire. Elle aurait pu faire n’importe quoi d’autre. Peu importe le médium, ce qui lui importait était de gagner. C’était de l’entêtement. Et je ne tiens pas à glorifier cette obstination comme on le fait trop souvent. Il est destructeur et je pense qu’il faudrait apprendre, comme humain, à lui résister.»

N’empêche, Laurence Leboeuf incarne la cycliste en aménageant de toutes petites brèches dans sa carapace et en gardant en tête le plaisir du vélo qu’elle a jadis ressenti. «Je pense qu’il y a une partie d’elle-même qui aime le cyclisme. Mais c’est peut-être parce que je suis moi-même tellement tombée dans le vélo pour tourner ce film que je me suis prise d’affection pour ce sport. Je me suis entraînée de manière intensive, on a d’ailleurs interrompu le tournage pour une semaine de vélo en Belgique avant de tourner les scènes de la course de Liège. Dès que je me suis sentie à l’aise en selle, je suis devenue amoureuse de la route, du vent, de la continuité zen qui vient avec la pratique du vélo. J’ai vraiment aimé voyager en vélo, à Cuba notamment, où j’ai pu expérimenter un tout nouveau rapport avec le territoire en voyage. On entre en quelque sorte en fusion avec le vélo.»

Et le dopage? Le film se garde bien de porter un regard sentencieux sur la question et n’essaie en rien de tenter d’expliquer le piège de la drogue dans lequel tombent trop d’athlètes. Mais le parcours de Geneviève Jeanson est éloquent. «C’est tellement fou le sport! s’exclame la comédienne. On ne se rend pas compte à quel point ces gens-là sacrifient leur intégrité physique et mentale pour finalement peu de reconnaissance, peu de véritable gratification. Le piège du dopage me semble inévitable dans ce contexte, je comprends facilement comment elle est tombée là-dedans.» 

En salle le 13 juin