Coup de coeur Fantasia: le cauchemar biologique de The Creeping Garden
The Creeping Garden, c’est un film d’horreur atypique. C’est aussi un film apocalyptique. C’est aussi une parodie des documentaires modernes. The Creeping Garden, c’est, cinématographiquement, le reflet de son sujet.
Le long métrage The Creeping Garden respecte les codes techniques du documentaire. Son esthétisme léché aurait pu le trahir si la BBC n’avait pas sorti des documentaires comme Planet Earth ou Blue Planet, qui lient un visuel époustouflant avec une vulgarisation scientifique crédible et accessible. Ça, c’est pour la forme. Mais dans le fond, The Creeping Garden est un film d’horreur d’anticipation, un film de zombie cellulaire, une réflexion angoissante sur le terrain que s’accapare tranquillement la mort partout où elle va. Un chef d’œuvre.
Scientifiques amateurs et artistes modernes interviennent pour discuter d’une forme de vie qu’on voit croître un peu partout sur Terre, qui est un mélange assez sublime d’algues, de champignon, de parasite et d’animal. Les caméras accélérées et les microscopes documentent le progrès territorial de cet organisme multicellulaire qui forme des toiles géantes pour s’accaparer de tout son territoire, se nourrir de tout sur son passage et s’adapter prodigieusement à son environnement et aux obstacles qu’ils présentent.
Quand un cinéaste amateur place du poison dans l’un de ses spécimens, on le voit se détacher tranquillement de la zone compromise pour continuer sa route. Divisé, l’organisme continue de croître. Quand il est proche d’un autre organisme comme lui, ou de nourriture, il trouve toujours la route la plus efficace pour se rendre à son objectif.
On suit également une artiste fascinée par le phénomène qui crée des œuvres artistiques en laissant toujours à l’organisme une part d’implication dans l’œuvre qu’elle créé. Ce qui est magnifique, c’est que le documentaire ne précise jamais ce constat que l’auditeur fait au fur et à mesure que l’on suit cette artiste obsédée: l’organisme en question a visiblement atteint son cerveau, sans même l’infecter explicitement, puisque celle-ci reproduit continuellement les motifs naturels de son sujet préféré. Ainsi, la substance est capable de progresser même psychologiquement sur des terrains qu’elle ne touche pas de manière organique.
Le seul petit bémol, c’est l’ambition démesurée du cinéaste, qui, au lieu de créer une œuvre sublime et extraordinaire de quarante minutes, continue le film et le fait dévier vers des zones un peu plus loufoques, sinon angoissantes tout de même. Quand l’organisme reproduit les délimitations du fil de fer sur une carte de l’Allemagne, on se demande si la blague politique valait la peine d’inclure, au passage, une mémoire historico-politique à un organisme, tandis que celui-ci évolue sur une représentation générique et minimaliste du pays. Mais ça passe. Tout comme les expressions faciales transposées sur un visage humanoïde qui représente les évolutions de l’organisme en fonction des stimuli qu’il subit en laboratoire. La scène est trop loufoque pour inspirer la terreur qu’elle souhaitait.
Précisons qu’il ne s’agit que de critiques superficielles issues d’un besoin de relativiser le succès faramineux et unique que représente cette expérience cinématographique. En respectant un langage documentaire, en étant hyper-rigoureux dans la représentation autant de l’organisme, dépeint de manière réaliste et crédible, que de ses amateurs enthousiastes, l’œuvre cinématographique s’impose comme un monument existentialiste à saveur scientifique. En montrant simplement des «faits», c’est-à-dire les actions et les réactions de cette substance expansive, le film nous propose implicitement des idées terriblement angoissantes sur la mort, la reproduction, l’invasion, le parasitisme, la maladie et la vulnérabilité humaine.
Un triomphe de malaise et d’angoisse doublé d’une maîtrise technique impressionnante et louable. Absolument à voir.
The Creeping Garden est présenté au Festival Fantasia le 27 et 29 juillet au Théâtre J.A De Sève.