Voir au Festival international du film de Toronto : TIFF: C'est parti!
Cinéma

Voir au Festival international du film de Toronto : TIFF: C’est parti!

Ça y est. La grande célébration canadienne du cinéma, le plus gros et plus glamour rendez-vous du genre en Amérique du Nord, débutait hier dans un Toronto frénétique, au gros soleil. Le TIFF aligne comme toujours les grands noms du septième art et quelques découvertes. Premier aperçu.

Ici, tout le monde attend avec excitation Maps to the stars, le nouveau fim du messie local David Cronenberg, dont la première projection publique aura lieu mardi soir (9 septembre) et qui arrive précédé d’une rumeur favorable à Cannes. Réduisant le rêve hollywoodien en cendres dans ce film incisif qui critique la superficialité et l’avidité d’un star-système décadent, le réalisateur torontois a centré son regard sur un personnage égocentrique d’actrice vieillissante et sans scrupules (Julianne Moore). On vous en reparlera assurément sous peu: nous le découvrirons en même temps que le public torontois en émoi.

Le film arrive par ailleurs en plein coeur de la controverse issue de la nouvelle politique (un brin agressive) du TIFF, qui a reporté aux derniers jours du festival les projections des films qui étaient quelques jours plus tôt de la sélection du festival de Telluride, pour privilégier en début de festival les premières nord-américaines. Ne voulant pas subir ce sort et rater ainsi l’attention d’une partie de la presse internationale réunie à Toronto, les distributeurs de Maps to the stars ont tout simplement évité Telluride. Ce n’est pas le cas du nouveau film d’Alejandro González Iñárritu, Birdman, qui a été vu au petit festival du Colorado mais ne passera pas par le festival de Toronto. Rivalité, quand tu nous tiens!

Il y aura à voir ici de nombreux films québécois fort attendus: Corbo, de Mathieu Denis (Laurentie); Elephant song, de Charles Binamé; L’amour au temps de la guerre civile, de Rodrigue Jean, ainsi qu’une projection spéciale de Mommy, de Xavier Dolan (l’enfant prodige joue également dans le film de Binamé). On surveillera aussi les films américains de nos compatriotes Jean-Marc Vallée (Wild) et Philippe Falardeau (The good lie), mettant tous deux en vedette l’actrice Reese Whiterspoon.

Notre parcours a toutefois commencé par des films français, car il y a aussi dans la Ville-Reine une importante délégation parisienne.

Olivier Nakache et Eric Toledano, les créateurs du film à succès Intouchables sont de retour avec une autre oeuvre s’intéressant au destin accidenté d’un immigrant à qui le marché de l’emploi et le système d’immigration français donnent du fil à retordre. Le comédien Omar Sy reprend du service dans un nouveau rôle d’écorché au coeur tendre, qui se liera peu à peu avec l’agente de l’association qui le soutient dans ses démarches de citoyenneté – elle-même une laissée-pour-compte que la vie n’a pas épargnée (Charlotte Gainsbourg). À travers la relation de ce duo improbable se tisse une histoire de résilience et d’obstination dans un monde où les portes semblent toujours fermées et où l’identité des uns et des autres ne trouve plus de point d’ancrage. La recette est en tous points la même que dans le film précédent, mais il y a un soupçon d’humour supplémentaire et de nombreux personnages secondaires bien campés, forts attachants et aux parcours complémentaires à celui de Samba. Voilà qui enrichit puissamment le récit et permet d’éviter tout manichéisme au sujet d’une France qui serait hostile à l’immigration. Résultat fnal? Un grand film populaire, scénarisé avec rythme et intelligence, qui attirera les foules sans les infantiliser.

Le festival accueille aussi la première nord-américaine d’Adieu au langage, nouvel essai déconcertant de Jean-Luc Godard qui est reparti de Cannes avec le Prix du jury (ex-aequo avec Mommy de Xavier Dolan). Comme d’habitude chez Godard, il y a ici refus de toute narration au profit d’un téléscopage d’images 3D, de sons, de textes et de couleurs qui évoquent, par libre association d’idées, un propos multiple sur le monde, sur l’économie, sur l’égalité (ou impossible égalité) des hommes et des femmes: quelque chose de foisonnant mais au final absolument indicible (à l’image de ce titre qui évoque l’impossibilité du langage). Se découpe au milieu de l’expérience visuelle un couple, la plupart du temps nu, dont les discussions et ébats sont interrompus par la récurrente image d’un chien profitant des joies de la nature. Entre culture et animalité, amour et brutalité, un film un peu impossible mais étrangement passionnant.

Dans Gemma Bovery, la réalisatrice Anne Fontaine s’amuse avec le fantôme de Flaubert et de sa Madame Bovary. C’est un film très français dans son essence: la vie normande y est rythmée par les arrivages matinaux du pain, par des personnages qui maîtrisent un certain art de vivre mais qui s’ennuient tout de même prodigieusement dans une vie bourgeoise sans suprises, tout en rêvant aux grands frissons des grandes oeuvres littéraires. C’est ainsi que ce cher Martin Joubert (Fabrice Lucchini) se convainc que sa nouvelle voisine anglaise est une incarnation contemporaine d’Emma Bovary (elle s’appelle d’ailleurs Gemma Bovery). Quand il se mêlera de son destin, jetant son grain de sel dans les amours de la belle avec son mari Charles (Jason Flemyng) et son jeune amant Henri (le Québécois Neils Schneiders, nouvelle coqueluche du cinéma français), les choses tourneront mal. Ça donne un film sympathique, surtout à cause de la fraîcheur du personnage de Gemma incarné avec une désinvolture très sensuelle par Gemma Aterton. Mais l’oeuvre force tout de même un peu trop la note dans sa volonté d’intertextualité avec le chef d’oeuvre de Flaubert, qui s’avère plutôt artificielle, amenée sans grande délicatesse par des narrations en voix hors-champ. On vous en reparlera assurément plus en détails sous peu.