Voir au Festival international du film de Toronto : De Falardeau à Giroux en passant par Ferrara
Le premier film hollywoodien de Philippe Falardeau, The good lie, est présenté en première mondiale au TIFF, où la presse québécoise l’attendait avec excitation, comme d’ailleurs elle anticipait Félix et Meira, le troisième long métrage de Maxime Giroux. Premiers regards sur ces deux oeuvres ainsi que sur Pasolini, une nouvelle offrande du réalisateur Abel Ferrara.
The good lie: le Falardeau d’Amérique
Monsieur Lazhar, précédent fim de Philippe Falardeau, est à plusieurs égards bien différent de The good lie: ils n’ont ni les mêmes moyens ni n’empruntent les mêmes voies narratives ni ne s’inscrivent dans le même arrière-plan géopolitique. Mais en racontant l’arrivée en sol américain d’un groupe de réfugiés soudanais, les «lost boyz», Falardeau explore les mêmes grands thèmes de l’exil et du choc culturel, à travers une expérience humaine enrichissante et des rencontres déterminantes qui bousculent l’identité des protagonistes tout en réaffirmant leurs ancrages personnels et en les rendant plus forts. Le film ne passera pas à l’histoire, certes, car il emprunte les mêmes chemins que la plupart des récits d’exil, mais il les capture avec sensibilité et avec un réalisme saisissant. La première partie du film, campée avec un naturalisme très détaillé au coeur de la guerre civile soudanaise et tournée avec des acteurs enfants (d’une grande justesse), offre de superbes moments de cinéma. On s’étonne, toutefois, que le personnage de Reese Whiterspoon, qui rencontre les jeunes Soudanais à leur arrivée aux États-Unis et les aide à dénicher des boulots, se présente de manière si inconsistante. Le parcours émotionnel et psychologique de celle qui sort peu à peu d’une vie égocentrique pour s’ouvrir à la différence n’est pas particulièrement approfondi et présenté de manière souvent anecdotique par un scénario autrement touchant et habilement construit.
Pasolini: Ferrara s’est assagi
Son film sur l’affaire DSK, Welcome to New York, a fait controverse à Cannes où on ne l’a pas sélectionné en compétition officielle mais où il a été projeté sous le manteau, valant à Abel Ferrara une accentutation de sa réputation sulfureuse. Seulement quelques mois plus tard, le voici de retour avec Pasolini, un film considéré plus sérieux, qui a été de la compétition de la Mostra de Venise et que Toronto présente en première nord-américaine. Passionné par la vie et l’oeuvre du grand Pasolini, Ferrara déjoue les codes du biopic traditionnel en faisant le choix de ne raconter que les dernières heures de sa vie, en faisant des allers-retours dans des visions fantasmées de son oeuvre (notamment en reconstituant Salo, ou les 120 jours de Sodome) et de certains épisodes de sa jeunesse. Ce parti-pris pourra paraître propice à de gros raccourcis intellectuels (c’est parfois le cas), mais il a le mérite de saisir l’essentiel de la pensée politique de Pasolini, tout comme il donne à voir le mode de vie gourmand, à la fois avant-gardiste et transgressif, qui aura mené l’artiste à sa perte (incluant sa dérangeante attirance sexuelle pour les jeunes garçons). Mais est-ce suffisant pour brosser un portrait de l’homme qui soit assez complexe pour lui rendre justice? Pas vraiment, et le film n’est visiblement pas destiné aux néophytes de son oeuvre, qui n’y trouveront pas de grand éclairage. C’est néanmoins un regard sur les rapports entre sexe et politique dans sa vie et son oeuvre, qui a le mérite de proposer un angle de traitement très personnel. Et la photographie, très soignée bien que très classique, est remarquable, de même que l’interprétation sans failles de Willem Defoe dans le rôle-titre.
Felix et Meira: l’important film de Maxime Giroux
La bande-annonce, déjà, laissait présager le mieux. Le film n’a pas déçu les festivaliers venu hier soir le voir en première mondiale en présence d’une partie de l’équipe. Félix et Meira est certainement film que le cinéma québécois attendait et dont il avait besoin, sans le savoir. Souvent occupé à affirmer l’identité francophone et à observer les ramifications de sa propre identité malmenée, le cinéma d’ici a parfois de la difficulté à poser son regard sur l’Autre, celui qui vit pourtant tout près. Les dernières années nous ont prouvé que cette situation est en train de changer, et Maxime Giroux vient de faire un pas important en provoquant sur pellicule la rencontre entre un Québécois et une Juive hassidique vivant à quelques coins de rue dans un Mile-End où, pourtant, l’interaction entre les deux communautés est inexistante. Histoire d’amour improbable, racontée avec tendresse et délicatesse, le film mettant en vedette Martin Dubreuil et Hadas Yaron dépeint par petites touches, sous des paysages montréalais enneigés, l’apprivoisement mutuel de personnages se libérant doucement de leurs chaînes pour vivre ensemble une vie davantage accordée à leurs aspirations et à leurs potentialités. Outre la romance, le film donne accès, avec un réalisme certain, à l’intérieur des appartements hassidiques et à tout ce qui s’y trame. S’appuyant sur un travail ardu de recherche et sur l’expérience de certains acteurs (ex-hassidiques, la plupart recrutés aux États-Unis), le réalisateur offre un regard respectueux mais non-complaisant sur une communauté qui attire la curiosité mais aussi l’incompréhension en vivant dans les rues de Montréal sans pour autant s’ouvrir à sa communauté d’accueil. Nous vous en reparlerons assurément au moment de la sortie du film cet hiver.