FNC / Discussion croisée entre Falardeau et Gaudreau : L’amour c’est pas pour les peureux
L’un vient du monde des arts visuels et s’intéresse aux images brutes et à l’immédiateté du rapport caméra et être humain, l’autre a grandi dans Centre-Sud et a une fascination et un respect pour le vrai monde. Nous les avons réunis pour une discussion croisée à la lumière de leurs deux films présentés au FNC.
En feuilletant la programmation du festival, deux films se sont immédiatement imposés par leur sujet et leur inscription géographique: Gaetan et Fucké. Le premier met en scène un tueur à gages fantaisiste dans le quartier montréalais de Centre-Sud et le deuxième filme une maison de chambres du Plateau-Mont-Royal. Deux sujets urbains, deux façons de montrer des images que l’on ne montre pas assez dans notre filmographie. Entrevue avec café et cigarettes.
«En 2005, alors que Michel Brault reçoit un Jutra qui honore l’ensemble de sa carrière, il m’avait apostrophé en s’adressant aux jeunes cinéastes. La caméra-stylo existe, pourquoi les gens ne font pas plus de films? Cette déclaration m’a alors directement parlé.» D’emblée, Simon Gaudreau parle de son amour pour les précurseurs du cinéma direct (Michel Brault, Pierre Perrault), mais il précise que le monde qui l’a formé et qui l’a poussé au cinéma est le monde des arts visuels, lui qui a d’abord une pratique en peinture.
Jules Falardeau n’a aucune formation en cinéma, il est plutôt du type autodidacte. Quand on le questionne sur le cinéma il parle de sa première expérience documentaire: «Quand j’ai voulu faire un film sur Reggie Chartrand j’ai demandé à mon père (NDLR nul autre que Pierre Falardeau) pourquoi personne ne s’était encore intéressé au boxeur-patriote. Il m’a répondu qu’il n’en tient qu’à moi de faire ce film. Quand je me suis rendu compte qu’il était possible de tout produire seul, j’ai travaillé durant un été et je me suis équipé.»
Le résultat est différent, mais la pratique est semblable, à force d’huile de bras et de volonté. Leurs films ont été produits de façon autonome et sans aucune aide (Simon Gaudreau a toutefois bénéficié du soutien du conseil des Arts du Canada). Le fait de créer dans l’urgence de déclamer et la volonté de le faire sans concession semble le message des deux jeunes cinéastes. Centre-Sud et le Plateau-Mont-Royal nous sont représentés tels quels et chaque spectateur saura s’y retrouver image par image. Ils ont donné des lieux de parole à des personnages souvent invisibles, le tout sous l’influence du cinéma direct, du DIY et des premières vidéos de Robert Morin façon Coop Vidéo de Montréal.
Fucké pénètre dans l’intimité de Mario, Nicolas, François, Jean-Guy, Denis, Claude et Patrick, qui habitent tous la même maison de chambre. Pendant deux ans, le documentariste a partagé leur quotidien, des moments simples, des bribes d’existence. Du repas mangé à même le micro-ondes crasseux au shoot de cocaïne suivi d’un long moment d’errance, rien n’est esthétisé dans ce documentaire qui n’a pas de véritable propos mais qui tend plutôt à écouter et à laisser l’image et les protagonistes parler.
«Ce film ne m’appartient pas et j’aime l’idée de faire un film avec le monde. Je ne l’ai pas intégré au montage, mais pendant ces deux années de tournage j’avais laissé des petites caméras aux habitants de cette maison de chambre. Pour moi ce travail de création se fait en collaboration, dans une logique de partage.»
Ce film ne nous laisse pas totalement indemnes, on ressort de son visionnement un peu sonné, comme la galerie de personnages de gueules cassées qui nous est présentée. Le travail de proximité est constant, la caméra se penche aussi bien sur les déjections de l’un des protagonistes que sur les murs suintant la bière. Le réel ne nous est jamais épargné et c’est la force de ce documentaire qui présente un autre Plateau-Mont-Royal, celui des gens qui ne portent pas de fard.
Gaetan verse dans le «documenteur» à la façon C’est arrivé près de chez vous. Gaetan est un héros qui a de drôles de principes. Il tue et assassine pour le compte de clients anonymes tout en s’intéressant à Sun Tzu, à l’agriculture de proximité et aux études universitaires. Tourné avec trois fois rien, l’économie de moyens réussit parfois presque à flouer le spectateur quant à la véracité des propos de Gaetan. Jules Falardeau a la gouaille du paternel et n’a pas voulu rendre de comptes à quiconque en tournant son film.
«Cela te donne une liberté de faire ça. Je n’ai pas envie de passer à travers 1000 comités pour savoir si je vais réussir à trouver de l’argent pour faire mon film. Même si c’est difficile de voir la lumière au bout du tunnel, l’autonomie et l’indépendance mènent à plus de créativité au bout du compte.»
Par moments un peu gauche, Gaetan réussit toutefois le pari du DIY et narre la trajectoire bizarroïde d’un personnage du quartier Centre-Sud.
Outre le fait de n’avoir pas voulu représenter les mêmes personnages caricaturaux qui nous sont toujours montrés dans les documentaires sociaux ou dans le reportage de terrain, le film de Gaudreau veut ouvrir le langage documentaire: «Souvent, je trouve qu’on représente ces gens comme des losers, des statistiques ou des personnalités blêmes. Pour moi, un gars comme Cédric, le rappeur dans mon premier film King of the l’Est, c’est un gars qui se tient debout avant tout. Les personnages dans Fucké sont exclus de la représentation cinématographique chez nous. Ils sont marginalisés, mais ce ne sont pas des marginaux. Les gens que je filme ne sont pas en demi-teinte, ce sont des gens intenses, accessibles et qui assument ce qu’ils vivent.»
C’est peut-être le mot-clé de cette rencontre entre deux cinéastes qui défrichent des territoires invisibles: s’assumer. Deux films à voir et surtout deux sujets qui prêtent à la discussion.
Salut! Est ce que quelqu’un sait si le film va être présenté à Québec à un moment donné??
Pour le moment, pas de détails pour Québec mais tu peux toujours joindre les productions http://www.colonellefilms.com/ pour Fucké et pour Gaétan écrivez moi en privé.
Amicalement,
Jean-Baptiste