Deux fois Houellebecq au FNC : Le métier de vivre
Festival du nouveau cinéma 2014

Deux fois Houellebecq au FNC : Le métier de vivre

L’écrivain au visage émacié et au prix Goncourt 2010 apparaît deux fois cette année dans la programmation du Festival du nouveau Cinéma. Deux apparitions étrangement correspondantes.

Avant de devenir l’écrivain francophone le plus traduit sur la planète, Michel Houellebecq a eu plusieurs vies. L’une d’elles fut celle d’un étudiant en cinéma à l’école Louis Lumière. Plus tard, il scénarise le long-métrage de Philippe Harel tiré de son roman, Extension du domaine de la lutte. Et plus récemment, il a réalisé et financé «l’échec le plus cuisant de sa vie», La possibilité d’une île. C’est donc dire qu’entre Houellebecq et le cinéma, c’est une vieille histoire… qui se poursuit ces jours-ci en tant que comédien semblant tout droit sorti d’un de ses livres.

Dans L’enlèvement de Michel Houellebecq, Guillaume Nicloux met en scène un rapt vaguement inspiré par les évènements de 2009, alors que l’écrivain avait été faussement porté disparu en Espagne. La machine médiatique supposa alors même qu’Al-Quaïda était à la source de cette disparition. Nicloux va cependant plus loin avec  ce film: il capte le Houellebecq privé, Michel Thomas.  

Dans les quinze premières minutes de l’intrigue, on le voit discuter de décoration et de Mozart avec une amie. Il va assister à un enterrement, on lui demande un autographe, c’est Michel Houellebecq l’écrivain. On dirait presque un documentaire télé, vaguement ennuyant, vaguement ennuyé. Puis survient l’enlèvement, commis par trois hurluberlus: un culturiste, un champion d’arts martiaux mixtes et un gros gitan ressemblant à Patrick Sébastien. L’histoire devient alors intéressante, Houellebecq devenant le sujet d’un enlèvement sans réel motif, dans un film où chacune des scènes fait dès lors l’objet de discussion et de franche rigolade.   

Dans Near Death Experience, Gustav Kervern et Benoît Délepine proposent un poème filmique à la frontière de l’onirisme et du delirium. Michel Houellebecq incarne dans cette fiction Marc, un employé de France Télécom sans histoire: une femme, deux enfants et un projet de suicide dans les calanques. Il part ainsi du foyer familial en plein après-midi, en maillot de cycliste BIC rouge, et se perd dans les paysages calcaires du sud de la France.  

Tourné en quelques jours avec une équipe réduite, le film propose d’écouter la voix intérieure du personnage. Les textes sont sublimes (et non pas écrits par Houellebecq) et le constat posé est triste sur une époque forçant le trop-plein, le trop vide. Étrangement, l’expérience que vit Marc se rapproche d’une méditation et d’une retraite spirituelle. Sans eau et sans nourriture, son errance se mute rapidement en délire poétique-suicidaire où la famille et la place de l’homme sont sombrement questionnées.

Deux films avec des propositions différentes, mais avec un point commun: mettre en scène un écrivain tantôt lui-même et tantôt encore un peu lui-même. Nicloux nous représente un homme qui sait rire et qui devient par ses caprices le bourreau de ses bourreaux, tout cela sur fond humoristique, toujours. Les ravisseurs le dénomment toujours Michel, le culturiste veut savoir d’où vient l’inspiration en poésie, le gitan lit son essai sur Lovecraft et la vieille chez qui il est tenu prisonnier lui propose des revues porno pour passer le temps. On rigole, on boit, on baise et on s’engueule: le film de Ducloux raconte la vie telle qu’elle est. Near Death Experience,c’est plutôt la fin de la vie: l’écrivain semble peu dirigé, laissé à lui-même comme pour faire écho à l’égarement de son personnage. Pour tromper l’ennui, il reconstruit sa famille en morceaux de cailloux et s’adresse à eux. Il délire, il parle, il se montre lucide. À un moment du film, il rencontre un autre, et ensemble ils retombent en enfance. Ultime sursautement d’existence, utlime moment de rire. Car le personnage de Marc le dit bien: «je suis mort». C’est peut-être la clef de lecture de ce film; tout ce que nous voyons à l’écran ne sont peut-être que les visions et les dernières sensations d’un homme déjà mort.

Michel Houellebcq comédien? Oui, mais pas tant que cela finalement. Les deux films présentent des univers où l’écrivain peut jouer l’écrivain. Ainsi, la déclinaison cinématographique de Houellebecq ne fait qu’élargir le spectre des ses activités. En plus de la chanson, du poème, du roman et du théâtre, il y a désormais le cinéma. Houellebecq est un as de la représentation et il nous le prouve encore avec cette double présence au Festival du nouveau cinéma.