FNC / Métamorphoses de Christophe Honoré : Mauvais sort et sang-mêlé
Ne délaissant en rien son leitmotiv des amours compliquées, le Français Christophe Honoré s’y aventure plus que jamais sous le couvert de la mythologie. Et réussit le pari, avec ses Métamorphoses, de rendre le poète latin Ovide des plus sexy.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le cinéaste Christophe Honoré n’a pas froid aux yeux. Avec ses quelque 12 000 vers et ses ramifications gréco-romaines infinies, poème épique qui date de l’an 1 après Jésus-Christ, les Métamorphoses d’Ovide convient, dans un grand banquet des sens, humains et divinités, trahisons et amours-passions, mauvais sort et sang-mêlé. De la cuisse de Jupiter au mythe d’Orphée, en passant par la nonchalance de Bacchus.
Le réalisateur des Chansons d’amour en a retenu une vingtaine d’épisodes, avec lesquels il jongle non sans nous perdre sciemment à l’occasion, tous liés par la présence de la mortelle Europe (une première présence à l’écran concluante pour Amira Akili). Cette jeune lycéenne d’aujourd’hui – quoique l’époque ne soit jamais spécifiée – pourrait sortir tout droit de La Belle Personne du même Honoré, mais catapultée dans un monde fantastique auquel elle seule semble avoir accès. Suffit d’y croire, semble-t-il.
Parce qu’elle veut «vivre une histoire», comme elle l’indique elle-même à l’aide de cailloux, romantisme juvénile s’il en est un, Europe se laisse guider par cet inconnu prénommé Jupiter (Sébastien Hirel, au jeu plus distancié) au sortir de l’école. Lui prétend la kidnapper, elle affirme plutôt qu’il la sauve – de son monde plat, devinera-t-on, aussi violent par moments. Ainsi débute une longue suite de récits, tantôt contés ou incarnés, tantôt rêvés ou revisités. Mais toujours comme si de rien n’était, ou presque, comme s’il était normal que deux vieillards deviennent érable et peuplier, que des jeunes filles incrédules soient punies et transformées en chauve-souris.
Cette confusion entre les mythes et la réalité est omniprésente et soutenue du début à la fin. Honoré s’en amuse même dans son scénario, multipliant les clins d’œil plus ou moins subtils à la forme: Jupiter qui s’étonne qu’Europe n’ait pas entendu parler de lui en classe; Europe qui embrasse un batracien dans l’espoir d’un prince; Bacchus qui clame que « la Grèce est notre mère à tous »… Si la narration est un brin ampoulée, et que les mises en contexte se multiplient jusqu’à nous étourdir (C’est le fils de l’un qui a trahi l’autre en empoisonnant untel, par un soir de pleine lune…), le cinéaste joue d’audace à maints égards. À titre d’exemple, la confession de Narcisse à la caméra ou encore la descente aux enfers d’Orphée, sous-marine et presque enveloppante, déjouent les codes et les réinvente avec style, ludisme et beauté graphique.
Honoré affiche une surprenante maîtrise de sa carte du ciel – et des dieux –, en se proposant, à l’instar d’Ovide, «de dire les métamorphoses des formes en des corps nouveaux». Des corps poussés au paroxysme de leur communion avec la nature. Des corps-symboles des sentiments les plus extrêmes de l’âme (à demi ) humaine. En résulte un rêve éveillé, parfois déconcertant ou excessif, mais au mystère raffiné, qui rappelle en ses meilleurs élans à la fois Malick et Angelopoulos.