Atlas : Le tabou sublime
Le photographe Antoine d’Agata capte avec sublime des moments d’extase et d’étreintes.
La lumière projetée illumine à peine une femme dans la noirceur. Après avoir consommé une drogue dure, celle-ci se frotte un œil avec sa main, pendant de nombreuses secondes que le ralenti accentue sans dédramatiser; celle-ci passe effectivement un temps considérable à se frotter l’œil.
C’est une scène parmi de nombreuses autres dans Atlas, le troisième long métrage d’Antoine D’Agata, un photographe français ayant vécu dans la rue à partir de 15 ans et ayant commencé à prendre de l’héroïne à partir de 17 ans. Le réalisateur de El Cielo del Muerto et Aka Ana se promène en filmant les prostituées et les junkies avec qui il passe son temps.
Ses multiples dépendances lui «permettent de rentrer dans un monde obscur et d’en sortir aussitôt, tandis que [ses] sujets sont condamnés à y vivre», explique-t-il dans cette entrevue percutante.
Antoine D’Agata interview from Juri Rechinsky on Vimeo.
Le film présente du visuel sublime et sombre pour raconter ces moments tabous de la prostitution et des drogues dures, qui ressemblent un peu à des tableaux d’anatomie du 19ème siècle: une tentative scientifique, une emphase artistique, une froideur et une distance analytique qui contrastent pleinement avec la proximité physique du sujet.
Tandis que le flou fait partie intrinsèque de son travail photographique (puisqu’il a longtemps travaillé en état de totale ébriété), la technique utilisée dans Atlas relève plus du dévoilement hyper-détaillé permis par les progrès techniques des dernières années. La lumière dirigée permet de faire le point très net sur un visage en extase pendant une injection qui semble durer une éternité, ou sur un accouplement anonyme entre client et prostituée, tandis que des voix hors-champ racontent leur rapport avec leur dépendance ou leur emploi.
«Je ne l’aime pas, et il ne m’aime pas», répète une voix, à multiples reprises: leitmotiv de la distance professionnelle qui sépare un homme de la femme avec qui il fusionnera momentanément.
Les tableaux sont tous bouleversants, sombres, sans aucune forme de merci esthétique: on y aperçoit des corps allongés et malades pendant de longues minutes, une marche d’escalier peut prendre plusieurs minutes avant d’être atteinte, l’étreinte anonyme semble d’autant plus intolérable qu’elle nous apparaît sans fin.
C’est une exploration rigoureuse et unique d’un monde particulièrement sombre que le réalisateur connaît trop bien. Une vie sans leçon, sans morale, parsemée ici et là de plaisirs qui s’achètent et qui se consomment aussitôt, avant le prochain plan fixe.
Atlas est présenté en première nord-américaine aux RIDM le 14 et ensuite le 16 novembre au cinéma du Parc