A City is an Island (La ville est une île) : Montréal, c’est toi ma ville
Le réalisateur Timothy George Kelly se penche sur la bouillonnante scène musicale anglophone DIY qui s’est construite à Montréal à partir des années 1990, dans le documentaire A City is an Island.
Entrevues et performances s’entrecoupent et se mêlent adroitement dans le documentaire de Timothy George Kelly, A City is an Island, pour démystifier et décortiquer une certaine scène noise anglophone montréalaise qui s’est bâtie de manière extrêmement DIY, au centre de l’île, et s’est transformée depuis les années 1990.
Alors que plusieurs motivent la venue d’artistes dans le Mile End par les locaux industriels spacieux – et quasi abandonnés par la chute de l’industrie textile – et peu onéreux, les multiples musiciens et artistes rencontrés par l’équipe de A City is an Island évoquent beaucoup plus que ce caractère monétaire et logistique.
Si on s’attarde tout d’abord à la barrière de la langue qui, pour plusieurs, a forcé la ghettoïsation cette scène hyperlocale, pour d’autres, le juste mélange franco-anglo qui se retrouve à Montréal crée une ambiance complètement différente de celle de Toronto ou Québec. Xarah Dion soulève aussi un point intéressant qui échappe à une certaine application de la Loi 101 : la plupart des artistes qui déménagent à Montréal sont plus vieux et ne sont pas obligés d’aller à l’école en français ou de l’apprendre pour fonctionner, dans le quartier où ils s’installent.
Fait intéressant – et peut-être même à l’opposé du discours général – Spencer Krug (Wolf Parade, Moonface) admet qu’il s’extrait tranquillement de la ville, en vieillissant, alors qu’il semble avoir plus de difficulté à arriver à ses fins ici. Autre fait intéressant, dans cette scène anglophone, se mêlent quelques francophones – Dion, mais aussi Phoebé Guillemot (Ramzi) et Marilis Cardinal (Arbutus Records) – qui s’y retrouvent bien et font l’objet d’entrevues.
Mais la langue n’est pas l’unique sujet du documentaire et bien que le thème soit toujours d’actualité, il est heureux que le réalisateur se soit aussi penché sur d’autres aspects de la vie montréalaise, pour ces artistes émergents de cette scène musicale, plus particulièrement une certaine scène noise et électro anglophone. En effet, il aborde de manière judicieuse, en compagnie d’artistes tels que Colin Stetson, Tim La Fontaine (Cop Car Bonfire), Chloe Lum (AIDS Wolf), Pat Gregoire (Pat Jordache), Graham Van Pelt (Miracle Fortress), Roland Pemberton (Cadence Weapon) et plusieurs autres, la migration de cette scène qui se déplace de plus en plus vers le nord, partant du coin du Biftek et du Barfly sur le Plateau, pour remonter Saint-Laurent vers le Mile End, puis la Petite Italie et enfin, Parc-Extension.
Les cycles de la gentrification y sont aussi survolés et, par association, la disponibilité des locaux pour se produire et créer, le coût des logements, mais aussi la mulitiplicité des activités qui ont lieu à Montréal, les «hypes» qui sont aussi cycliques que temporaires, et enfin, l’honnêteté de la création de la scène hyperlocale dont il est question, en compagnie de Mac De Marco, Sean Nicholas Savage, Tony Ezzy, Tim Hecker, Raphaelle Standell (Blue Hawaii, Braids), Bobby Ezekiel (Miss Lady Swamp Pussy), et quelques autres.
On se rappelle aussi des lieux tels que Friendship Cove, plus au sud, La Brique – dans le désormais nommé « Mile Ex », Lab Synthèse et d’autres lieux qui ont connu des cycles de vie irréguliers et qui ont accueilli et fait grandir cette scène musicale, mais aussi ceux qui survivent et offrent toujours un lieu de rassemblement : la Casa del popolo, le Barfly, etc.
On peut sans doute reprocher à A City is an Island d’inclure seulement quelques faits historico-politiques sommaires, en ouverture, ou encore de mettre de l’avant un Patrick Watson qui ressort du lot des interviewés. En effet, celui-ci sort du cadre puisqu’il ne fait ni dans le noise ou l’électro, ni dans l’émergence, et aborde en partie l’identité linguistique de Montréal et donne une forme de « légitimité populaire » au documentaire qui n’en avait pas réellement besoin, tant le sujet est maîtrisé et riche. Reste que ce film réussit beaucoup mieux lorsqu’il donne une voix aux artistes et aux artisans de l’underground qui ont créé une scène qui grouille – encore et toujours – et qu’on croit connaître, en l’observant de loin. Mais on la connaît mal et le portrait que brosse A City is an Island englobe de façon juste et diversifiée ce qu’elle est : extrêmement créative, pauvre et heureuse.
Caila Thompson-Hannant (Mozart’s Sister) résume bien l’affaire : « I don’t really care if I’m successful. I just want to be bad ass. »
A City is an Island (La ville est une île) sera présenté aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal le 13 novembre à 20h, puis le 15 novembre à 14h, à l’Amphithéâtre du Coeur des sciences de l’UQÀM.