We Come As Friends / Entrevue avec Hubert Sauper : Un OVNI au Soudan
Une décennie après son controversé Cauchemar de Darwin, Hubert Sauper poursuit sa réflexion sur le nécolonialisme en Afrique avec We Come As Friends. Un film inclassable qui navigue entre le poème visuel, le documentaire et la musique de Nina Simone.
«Les Américains et les Européens voyagent pour coloniser et prendre de force les endroits qu’ils visitent. Ils se sont battus, puis, ils ont divisé un continent comme l’Afrique: le Soudan, l’Ouganda, le Nigéria… Après avoir séparé notre terre, ils ont dit que nous étions maintenant un pays libre, une nation libre. Après cela, ils sont allés dans l’espace et ils ont pris la lune! Savais-tu que la lune appartient à l’homme blanc?»
Une enfant emmène le spectateur dans le film et puis il y a cette discussion sur la lune et la division de l’Afrique, le tout appuyé par des images d’un petit avion devant un village Sud-Soudanais qui brûle ses herbes. L’entrée en matière est belle, brève et lyrique. Bienvenu au Soudan, l’épicentre d’un combat sourd que se livrent la Chine et les Etats-Unis pour le contrôle de ses ressources.
Tourné sur une période de 6 ans, dont deux passés sur le territoire, ce documentaire traite des relations cupides de l’ONU, de la Chine et des Américains avec le Sud-Soudan, un pays naissant qui semble émerger des ténèbres et s’y renfoncer, inexorablement. Né en 2011 suite à deux guerres civiles consécutives ayant fait plus deux millions de morts et plus de quatre millions de déplacés, le Sud-Soudan continue de vivre dans l’instabilité et la guerre semble y être endémique.
«Je voulais faire un film sur la pathologie du colonialisme. Au Soudan, une fenêtre s’ouvrait pour illustrer une histoire qui se répète inlassablement. En Afrique on a découpé le territoire en plusieurs morceaux, et, au Soudan il y a cette même pathologie: on découpe le pays en deux. Je voyais là une histoire transcendante où il était possible de placer l’action et le propos de mon film.»
Hubert Sauper filme caméra au poing ce pays sous toutes ses coutures, sans complaisance ni aucun jugement. Dans le camp de travail chinois, les ouvriers ne semblent pas connaître le pays où ils se trouvent. Les évangélistes américains donnent des vêtements aux enfants sans se soucier de comprendre leur nudité. Les officiels de l’ONU semblent aveuglés par leur volonté de supporter l’indépendance du sud-Soudan. Tout ce monde ne semble préoccupé que par sa propre quête, oubliant constamment le peuple. Sauper, lui, superpose les témoignages et les images d’un monde postcolonial qui perdure sans jamais oublier d’aller voir les principaux intéressés: les Soudanais.
«Lorsque je filme, mon rôle n’est pas de juger. Ce sont les spectateurs du film qui construisent leur itinéraire, leur propre parcours, leur véritable jugement. C’est pour cela que je fais des films. Lorsque je pars à la rencontre de ce vieil homme qui s’est fait extorquer sa terre, on voit dans son regard toute l’angoisse et la trahison dont il a été victime. Pourquoi je suis cinéaste? C’est exactement pour ce regard et non pour communiquer des jugements à trois sous.»
Du haut de sa coccinelle volante autoconstruite (c’est ainsi qu’il qualifie son petit avion), qui n’avance pas plus vite que 50km/h, il se lance à l’assaut d’un pays qui vit un tournant de son histoire.
«Techniquement, cet avion est très primitif. L’idée de l’avion était plutôt conceptuelle car il symbolise beaucoup de choses en Afrique. Il représente le bien et le très mal: l’avion lance des bombes; c’est le symbole par excellence de l’homme blanc; c’est phallique, c’est blanc; l’avion descend sur le continent noir. L’avion apporte aussi de l’aide et l’ONU utilise la métaphore chrétienne de l’avion qui sauve des vies. Physiquement, j’ai construit cet avion dans la petite ferme où je vis en Bourgogne et je suis parti d’ici pour me rendre au Soudan. Mon voisin a fabriqué une petite piste avec son tracteur…en face de chez moi. Cet avion est en fin de compte un peu ridicule et nous a ouvert pas mal de portes dans notre contact avec les gens car il est l’antithèse de l’invasion.»
Hubert Sauper a un parcours africain assez garni mais ne se targue pas d’être obsédé par le continent. Il trouve juste assez son compte là-bas pour pleinement illustrer la nature des hommes et le rapport qui les agite. Aux rencontres internationales du documentaire, il donnera aussi une conférence en compagnie d’Anuradha Mittal, spécialiste de la question de l’appropriation des terres.
Courez-y!