L’enfer marche au gaz : Martin Bureau dans le bruit et la fureur
Dans L’enfer marche au gaz, Martin Bureau traîne sa caméra à l’Autodrome de St-Félicien au milieu des vrombissements et de la boucane, cherchant à poétiser les courses de stock-car dans une vision apocalyptique.
Originaire de St-Félicien mais vivant à Québec, où il est surtout connu comme artiste visuel, Martin Bureau flirte avec le documentaire expérimental dans ce film qui sent le moteur et la ferraille. Sur la piste de l’Autodrome où il se rappelle avoir passé des journées d’enfance, les yeux écarquillés, il continue de s’étonner devant le bruit et la fureur. «Ces gars-là donnent tout un show», dit-il. Une vérité difficile à contester, même de la part de ceux qui ne pourront s’empêcher de juger le sport un peu barbare.
«Les courses de St-Félicien constituent une sous-culture fascinante, dit-il, avec ses codes précis, et avec un potentiel spectaculaire inouï. Comme le titre de mon film l’indique, c’est la dimension apocalyptique de ce sport qui me fascine. Ce sont des pratiques risquées, un peu folles, mais qui sont faites avec sérieux et habileté par des passionnés de mécanique et de moteurs, qui ne font rien à moitié même si c’est fait sans prétention, sans moyens, dans la grosse débrouille, avec beaucoup d’huile de coude et de solidarité. J’ai voulu m’intéresser à cette passion, à cette collégialité qui fait que tout le monde fait ça ensemble bénévolement, jusqu’à avoir créé une machine impressionnante autour de l’Autodrome.»
L’apocalypse, vraiment? On la sent bien dans la progression dramatique du film, à mesure que les moteurs s’accélèrent et que la vitesse embrouille l’image. Le film s’accompagne aussi d’une trame sonore de circonstance. Mais, demande-t-on à Martin Bureau, ces gars-là sont-ils conscients de frayer avec la destruction?
«Ils sont conscients des risques de leur pratique, et ça ajoute à la fébrilité. Mais je pense qu’ils n’analysent pas leur passion en ces termes – ce sont surtout des hommes pragmatiques qui aiment la mécanique. L’apocalypse, je la vois moi aussi dans des considérations plus terre-à-terre. Si l’enfer existe, je suppose qu’il peut ressembler à une course à l’Autodrome, avec ses pneus qui crissent et ses bruits de moteur pétaradant. Mon film cherche à témoigner de ça, à s’approcher au plus près de la sensation ressentie par le spectateur des courses.»
Ne voulant pas poser de jugement sur les coureurs et sur leur sport enboucané, le cinéaste voulait surtout «montrer l’exultation», ou, comme il le précise, «accompagner les coureurs dans l’exubérance totale de leur sport». «Il ne s’agissait nullement d’entrer dans une perspective d’analyse anthropologique ni d’essayer d’être objectif en montrant différents regards. Je voulais rendre un hommage à l’enfer des courses, le transformant presque en un poème visuel, donc sans considérations extérieures (qu’elles soient écologiques ou socio-économiques). Mais je pense qu’à travers cet hommage le spectateur aura une grande liberté de regard.»
Construit par accumulation d’images de voitures filant à toute allure et de bolides accidentés, échoués sur les bords de piste, le film s’arrime aussi à la voix de l’un de ces hommes passionnés par les moteurs, dans un parler brut et sans filets. «C’est la voix de Robin, précise le réalisateur. Il est chargé d’extirper les pilotes des voitures accidentées, et il est en communication constante avec la tour de contrôle. Ça permet de suivre la course de l’intérieur, dans une sorte d’intimité, tout en la regardant, par l’œil de la caméra, dans son caractère spectaculaire, externe.»
«Dans toute mon œuvre, poursuit-il, je cherche à déstabiliser les perceptions par les images, le son et le montage. J’ai essayé de continuer à nourrir cet idéal à travers la forme du documentaire, aidé par l’ONF qui m’a invité à brasser la soupe, à revisiter mes propres codes narratifs dans un nouvel écrin. Je ne suis pas très habitué au format court, donc c’était un défi stimulant. Je l’ai vu comme une occasion rêvée de témoigner d’un macrocosme par un microcosme, de montrer l’essence d’un événement grandiose dans une forme courte et condensée. J’ose espérer que ça aura l’effet escompté.»
L’enfer marche au gaz fait partie du Projet des 5 courts (ONF), une initiative de l’ONF visant à explorer le genre documentaire court avec des centres d’artistes issus des régions du Québec.
// Mise à jour, 11 septembre 2015: L’enfer marche au gaz de Martin Bureau sera présenté au Festival de cinéma de la ville de Québec en programme double avec La démolition familiale de Patrick Damien.
Samedi 19 septembre à 19h au Cabaret (anciennement le Cabaret du Capitole)
Jeudi 24 septembre à 19h au Cinéma Cartier