Fantasia / Cooties / Ojuju / (T)error / A Hard Day : La politique du zombie
Des croquettes au poulet avariées de la cantine scolaire de l’américain Cooties à l’eau non potable d’un bidonville du nigérian Ojuju, la contamination zombie laisse entrevoir, comme souvent, un fort sous-texte politique.
Projeté vendredi soir dans une salle comble et déchaînée, Cooties, réalisé par Jonathan Milott et Cary Murnion, et produit par SpectreVision, la boîte de production d’Elijah Wood, choisit la carte de l’humour. Son groupe de professeurs, dont Wood lui-même en écrivain ambitieux, mais sans talent, se retrouve confronté à une horde d’enfants assoiffés de chair fraîche, après qu’une blondinette à couettes ait croqué la mauvaise croquette.
Le récit permet aux scénaristes Ian Brennan (Glee) et Leigh Whannell (Saw) d’effectuer une satire drôle et bien sentie de l’Amérique. Derrière le fun des poursuites dans les couloirs de l’école, derrière les clins d’oeil à la culture populaire (de Walking Dead au Hobbit en passant par A Girl walks home alone at night de Ana Lily Amirpour, également produit par Elijah Wood et dont on aperçoit l’affiche), Cooties dénonce la perte des valeurs, le non-respect des autorités (parents et École) ainsi que le nationalisme exacerbé post-9/11 qui gagnent les cours d’école.
La confection industrielle des croquettes, de l’abattage de l’animal à l’enrobage de friture final, présentée lors d’un générique ludique et dégoûtant, fait le pont entre la société consumériste, la viande et l’engendrement de monstres façon Tobe Hooper (les abattoirs de Massacre à la tronçonneuse) ou George A. Romero (le centre commercial de Dawn of the dead). Les comparaisons s’arrêtent là tant Cooties demeure sur le terrain de la rigolade sans jamais s’aventurer près d’intentions cinématographiques trop sérieuses.
Romero, on le retrouve du côté d’Ojuju signé C.J. "Fiery" Obasi, film de zombies sans le sou et ultra réaliste, situé à Lagos, la plus grande ville du Nigéria et du continent africain, puisqu’il s’agit du prénom du héros et futur papa qui tente de survivre à la contamination progressive de tout son quartier.
Contrairement à Cooties, Ojuju distille un sérieux malaise, puisqu’il n’hésite pas dès le départ à nous informer que 70 millions de Nigérians éprouvent de la difficulté à avoir accès à l’eau potable. Avec ce rappel tout sauf anodin, C.J. "Fiery" Obasi lie le zombie (le mot n’est toutefois jamais prononcé) à un terrible contexte social: impossible de ne pas voir dans les symptômes du virus qui affecte la population pauvre du bidonville du film ceux de la maladie Ebola.
Pourtant, Ojuju est aussi très drôle et regorge de trouvailles visuelles pour pallier à l’absence totale de moyens financiers. Chaque plan, concocté avec trois fois rien, respire l’envie d’offrir du cinéma de qualité et fait de cet enfant de Nollywood (avec un N pour Nigéria, la deuxième puissance cinématographique devant Hollywood et après Bollywood!) un bijou de passion et de débrouillardise qu’il serait dommage de manquer.
Ojuju sera présenté mardi 21 juillet à 17h30 dans la salle J.A de Sève.
Deuxième semaine – État des lieux
Ceux qui ont fréquenté le festival ce week-end l’auront remarqué: il fallait avoir l’estomac bien accroché. Entre le voyeurisme peu ragoûtant du glaçant et réussi Slumlord de Victor Zarcoff dans lequel un ignoble propriétaire espionne un couple qui bat de l’aile, les tripes à l’air et autre langue dévorée du côté du décevant Ludo, du gore ésotérique indien signé Q et Nikon qui a ouvert la section Camera Lucida, ou encore les créatures cannibales de l’espagnol Extinction de Miguel Angel Vivas (avec Matthew Fox de Lost) sorte de mix, éprouvant, mais déjà vu, entre 30 jours de nuit, The Descent et The day after tomorrow: les festivaliers courageux n’ont pas été épargnés.
Si vous désirez moins de sang et de brutalité, mais toujours autant de tension et de réflexion, on vous conseille chaudement de découvrir le documentaire (T)error des Américains Lyric R. Cabral & David Felix Sutcliff, un bijou d’ambiguïté (forme et fond) qui a remporté le Prix du jury au Festival de Sundance cette année.
Présenté à Fantasia dans la section Les Documentaires de la marge, le film suit, dans un premier temps, un informateur du FBI afro-américain musulman nommé Saeed, chargé de surveiller un Khalifah al-Akili que le FBI soupçonne de s’être radicalisé en raison, entre autres, du contenu polémique de ses statuts Facebook. Forcé par les informations récoltées dans ce qui est aussi, il faut le dire, un brillant travail journalistique, le duo emmène le documentaire dans une tout autre direction, allant jusqu’à tromper ses sujets et questionner l’éthique de tout travail de recherche de vérité.
(T)error se mute en objet hybride: à la fois le portrait d’un ancien membre des Black Panthers sur le déclin, seul, isolé dans une urbanité menaçante, et, le portrait d’un pays en guerre, les États-Unis, dont les méthodes de renseignement, douteuses et inquiétantes, sont ici révélées au grand jour. Une autre forme de terreur.
(T)error sera projeté mardi 21 juillet à 15h30 dans la salle J.A de Sève.
Tout aussi solide, A Hard Day du Sud-Coréen Kim Seong-Hun, présenté à Cannes et à Toronto en 2014, est un polar aux accents de comédie burlesque incroyablement bien mené, course contre la montre d’un flic ripou que la poisse ne lâche pas d’une semelle. Le film, très drôle, suit les péripéties du lieutenant Ko Gun-Soo qui après avoir renversé un homme en voiture, alors qu’il était ivre, cache le corps dans le cercueil de sa mère qu’il enterre le jour même. Le réalisateur Kim Seong-Hun fait reposer toute l’intrigue policière sur un comique de l’absurde et du décalage, tout en obéissant au timing précis et effréné du thriller. Comme si Buster Keaton était revisité à la sauce noire des films sud-coréens contemporains signés Bong Joon-Ho ou encore Johnnie To. Un mélange insolite, efficace, et délectable.
A Hard day est projeté lundi 20 juillet à 17h30 au Théâtre Hall Concordia.