Fantasia / Shrew’s nest et Marshland : Les fantômes du passé
Temps forts du cycle spécial que consacre Fantasia au cinéma de genre espagnol, Shrew’s nest et Marshland évoquent par le sang, les codes du thriller et le noir du polar les conséquences de la dictature franquiste en Espagne.
Dans les années 1950, deux soeurs orphelines partagent un quotidien anxiogène. L’une des deux, Montse, est agoraphobe, incroyablement angoissée, dépendante de la dose de morphine qu’elle prend pour calmer ses nerfs. Un jour, son voisin frappe à sa porte et lui demande de l’aide. Tout bascule très vite dans un cauchemar à la Misery de Rob Reiner: Montse le met au lit, et ne veut plus le laisser partir.
Shrew’s nest (Musarañas en version originale) du duo Juanfer Andrés et Esteban Roel possède en son sein une hystérie similaire au cinéma d’Alex de la Iglesia, ici producteur, qui a notamment signé Action mutante, Mes chers voisins ou encore le récent Un jour de chance: des oeuvres acides, enrobées d’une critique sociale acérée, qui ne demandent qu’à exploser aux visages des spectateurs. C’est ce que le film fait, d’ailleurs, lors d’une troisième partie grand-guignolesque où le grotesque le dispute au monstrueux afin d’exprimer l’horreur viscérale (colère, rage … et pulsions meurtrières) de ce que l’on réprime.
L’appartement, véritable prison de laquelle le duo sororal ne peut s’extraire, abrite encore le règne d’un père violent et répressif, qui, tel un fantôme maléfique, hante Montse sous forme de souvenirs. Comme lorsqu’elle était petite, la jeune psychotique y respecte la rigidité des règles et des préceptes religieux. Dès qu’elle sent que sa cadette pourrait s’en émanciper, une violence inouïe monte en elle. L’appartement de Shrew’s nest – à l’instar de l’île isolée de Marshland (La Isla Minima en VO) d’Alberto Rodriguez – sert de lieu unique à la narration.
Ces deux espaces, clos sur eux-mêmes, symbolisent la société de l’époque plongée en plein régime de Francisco Franco, qui, de 1939 à 1975 en Espagne, a mené une politique autoritaire et dictatoriale. Le cinéma ibérique est d’ailleurs rempli de rappels à ce traumatisme national. Dans le cinéma de genre contemporain, Guillermo del Toro l’a évoqué avec brio – souvenons-nous de L’échine du diable ou encore du sublime Labyrinthe de Pan, situés respectivement dans les contextes de la guerre civile espagnole et de l’après-guerre de 1944.
Chez les soeurs de Shrew’s nest, c’est dans la figure du père, inflexible et cruelle, que l’on retrouve toute la tyrannie du régime franquiste. Dans Marshland, qui suit Pedro (Raul Arevalo) et Juan (Javier Gutierrez), un duo de détectives chargés d’élucider le meurtre effroyable de deux jeunes soeurs, ce sont les insulaires masculins qui s’opposent à une libération des femmes. Le film se situe au début des années 80 – soit la période post Franco qu’a connue l’Espagne pour effectuer la transition entre dictature et démocratie. Dans les deux propositions, le parallèle entre le cloisonnement des protagonistes et la terreur d’un pays sous dictature s’exprime dans le genre: la fable sanglante pour le premier, le film policier pour le second. Les générations suivantes y paient les crimes passés des pères – géniteurs et gouverneurs.
Si Shrew’s nest vaut surtout le coup d’oeil pour l’intense prestation de l’actrice Macarena Gómez, dont chaque tressaillement de paupières traduit sa fureur contenue, Marshland brille par une sublime photographie, qui tire le meilleur du cadre et des paysages marécageux d’Andalousie. En son sein, le film loge d’ailleurs plusieurs séquences magnifiques dans lesquelles le rapport entre l’homme et le décor en dit beaucoup sur l’humanité (un peu comme dans la série True Detective, à qui le film est souvent comparé, avec sa Louisiane étouffante ou son Los Angeles urbain et défiguré). Dans l’une de ces séquences, l’un des détectives, encore hagard après un coup reçu sur le crane, se relève lentement. En arrière de lui: un soleil orangé se couche, un groupe d’oiseaux s’envolent en criant, un flamand rose se tient sur le bord de l’eau. Les larmes montent aux yeux du détective. On y voit alors la Terre, dans sa perfection, coexistant avec une humanité crasse et pleine de vices.
Shrew’s nest sera projeté lundi 27 juillet à 17h15 au Théâtre Concordia Hall.
Marshland sera projeté une deuxième fois lundi 3 août à 17h15 Théâtre Concordia Hall.