À la poursuite de la paix aux RIDM: Entrevue avec Garry Beitel
Les guerres d’aujourd’hui ne se gagnent ni ne se perdent par le sang, mais par la médiation. C’est ce que documente Garry Beitel dans son inspirant film À la poursuite de la paix, qui braque les projecteurs sur des travailleurs de la paix au Congo, au Sud-Soudan ou au Kurdistan. Discussion.
Ils sont Canadiens mais travaillent généralement pour des organisations internationales très peu financées par le Canada de l’ère Harper. Pas étonnant: l’ancien gouvernement s’est peu à peu désengagé de son rôle de gardien de la paix dans les conflits internationaux, jadis reconnu et applaudi par tous. C’est d’ailleurs en réaction à ce changement de cap que l’aguerri documentariste Garry Beitel a choisi de mettre en lumière le travail de Canadiens qui, malgré tout, continuent d’oeuvrer pour la résolution des conflits.
Ils sont médiateurs, experts de l’apaisement des tensions et de l’écoute active, capables de concilier les intérêts des différents camps à partir d’une approche humaniste et empathique. Les principes de la non-violence sont leurs mantras: ils sont les Gandhi et les Nelson Mandela de notre époque, mais ils agissent loin des projecteurs.
«Les guerres d’aujourd’hui ne sont pas des guerres gagnées ou perdues, explique Beitel. De nos jours, ce sont les médiateurs qui arrivent à mettre sur pied des négociations. Il n’y a plus de guerres internationales: nous sommes confrontés la plupart du temps à des conflits civils, des guerres pour des ressources ou des identités, à l’intérieur des pays. Les pertes sont incroyables pour tous les camps, donc les médiateurs font réaliser aux parties impliquées qu’ils n’ont rien à gagner en se faisant la guerre. Et ces médiateurs sont très efficaces. Les solutions ne se trouvent pas d’un jour à l’autre; il faut du temps. La médiation, ce n’est pas un truc fleur bleue ou idéaliste, c’est très pragmatique et c’est plus efficace que le travail de n’importe quel diplomates, chefs d’Etat ou homme de religion.
Non Violent Peaceforce, l’un des organismes que Beitel a suivi pendant plusieurs mois, était à ses débuts une organisation en émergence, dotée d’un budget de quelques centaines de milliers de dollars. Aujourd’hui, grâce au mécénat et au soutien étatique de plusieurs pays comme la Belgique et l’Australie, son budget frôle les 10 millions. De plus en plus de nations comprennent qu’il vaut mieux investir dans le travail pacifiste et patient des médiateurs que dans le budget militaire. Le Canada et les États-Unis sont toutefois loin derrière. Aux yeux de ceux qui ne se laissent pas gagner par le cynisme, Justin Trudeau risque de sauver la face du plusse-meilleur-pays-du-monde: il a déjà dit que s’il ne faisait pas de politique, il aurait aimé être médiateur pour Non Violent Peaceforce.
«Il y a de l’espoir, croit le documentariste. Il faut remettre le Canada sur l’échiquier avec un rôle pacificateur. Le virage d’Harper, dont l’obsession était de combattre le terrorisme par la force, ne représentait pas la vision des Canadiens. C’est statistiquement documenté.»
Les médiateurs rencontrés sur le terrain par le documentariste sont Occidentaux mais se font un devoir de laisser leurs gros sabots au vestiaire. Ils écoutent, dialoguent, débattent: ils savent que les conflits doivent être résolus par les parties impliquées et jamais par une partie extérieure. «Il y a d’ailleurs, dit Beitel, de nombreux médiateurs originaires de l’Amérique Latine ou de l’Asie: c’est de là que viennent les techniques non-violentes de résolution de conflit. C’est carrément l’héritage de Gandhi, qui repose sur l’empathie, sur la capacité à se mettre dans la peau de l’autre.»
Riche document qui montre à la fois les interventions des médiateurs sur le terrain et qui prend de la distance en les interviewant après coup, À la poursuite de la paix a été tourné sur plusieurs mois et jouit d’un accès privilégié aux territoires déchirés. Le film est aussi porté par la photographie soignée et inspirée de Philippe Lavalette, «un véritable poète de l’image», dit le réalisateur. On est bien d’accord.
À l’Excentris les 14 et 21 novembre, dans les cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM).
En salle au printemps 2016.
Une production ONF.