Voir au Festival de Los Cabos: Deux films mexicains à surveiller
Cinéma

Voir au Festival de Los Cabos: Deux films mexicains à surveiller

De passage au festival de Los Cabos au Mexique, on a découvert deux réalisateurs mexicains émergents dont il faudra suivre le travail prometteur. Regard sur les films Te prometo anarquia, de Julio Hernández Cordón, et Sabras que hacer conmigo, de Katina Medina Mora.

En compétition nationale à Los Cabos étaient favorisés les premiers ou deuxièmes films, oeuvres de jeunesse pourtant très maîtrisées, dépeignant un Mexique bien contemporain, dérouté et anxieux mais en quête d’une liberté qui, au fond, ne se cache pas bien loin. Les films mexicains indépendants sont d’ailleurs souvent comme ça: libres parce qu’hyper-mouvementés, à fleur de peau et affranchis des structures trop linéaires, tout en cultivant avec précision un naturalisme sensible à toutes les textures du réel. On y rencontre des personnages urbains désorientés – rien de neuf sous le soleil – mais cette déroute est portée par des acteurs de haut niveau: vifs, entiers, nuancés, sublimes. Un cinéma qui, dans sa manière très intimiste d’observer l’humain et le social, ressemble un peu à un certain cinéma québécois.

 

Te prometo anarquia, de Julio Hernández Cordón

Diego Calva Hernández dans le rôle de Miguel / Latido Films
Diego Calva Hernández dans le rôle de Miguel / Latido Films

 

Passionnant film que celui-ci. Te prometo anarquia relate, à l’aide d’une caméra aussi intimiste qu’agitée, les remous dans la vie d’un ado mexicain impliqué dans de sombres affaires de trafic sanguin et en quête d’amour. Miguel (bluffant Diego Calva Hernández) est un jeune skateboardeur au coeur tendre et à l’oeil triste, que la vie a inextricablement mené à patauger dans le gangstérisme ordinaire de son quartier. Habile  caméléon qui gagne le respect de tous au sein d’une structure souterraine de dons de sang, il mène son illicite petit commerce en compagnie de l’ami d’enfance Johnny (Eduardo Eliseo Martinez), secrètement devenu son amant. Jusqu’à que les choses dérapent puissamment.

Ces deux-là s’insultent bruyamment pour cultiver leur aura de bandit, sans toutefois y perdre de considération pour l’autre, comme seuls savent le faire les vrais amis. Histoire d’amitié et d’amour (les frontières ici sont très floues) autant que regard en biais sur une société qui cultive les inégalités et fait naître une délinquance quasi-inévitable, ce long métrage cru et hyperréaliste, aux textures documentaires, est une énième oeuvre posant sa loupe sur une adolescence contemporaine déroutée, cachant une fragilité manifeste derrière des apparences de dureté. Mais le regard n’est jamais grossissant ni réducteur; il est multiple, fécond et aussi compassionnel que réflexif.

Classique scénario de descente aux enfers et d’espoir de rédemption, le film flirte aussi avec les motifs de la tragédie. Il n’en est pas moins hachuré dans sa manière de suivre Miguel et Johnny en caméra épaule dans l’agitation des rues bondées de Mexico et de ses micro-cultures adolescentes. Son caractère cru et passionnel, cocktail de paroles drues, de sexualité décomplexée et d’émotions à vif, invite évidemment à la comparaison avec l’univers de Larry Clark. Ce qui est bien sûr un compliment.

Le film a d’ailleurs remporté à Los Cabos le prix du meilleur film de la compétition Mexico Primero ainsi que le prix de la critique.


 
 

Sabras que hacer conmigo, de Katina Medina Mora

Pablo Derqui et Ilse Salas dans Sabras que hacer conmigo / Crédit: Detalle Films
Pablo Derqui et Ilse Salas dans Sabras que hacer conmigo / Crédit: Detalle Films

 

Film d’amour hors-norme, aux arrières-plans tragiques, Sabras que hacer conmigo est le deuxième long métrage de Katina Medina Moro, campé dans un Mexico artsy autant que dans la vastitude de l’océan. L’eau y est une métaphore dosée: les personnages plongent dans les fonds marins à la recherche d’une protection et d’une ouverture vers l’immensité, nagent dans le bleu azur de la piscine en quête d’un silence bienveillant et d’une connection avec l’altérité. Plénitude des abysses.

Nicolas (Pablo Derqui) et Isabel (Ilse Salas) se rencontrent dans un corridor d’hôpital et vont rapidement commencer à s’aimer maladroitement. Elle est brisée par une déchirure familiale qui semble inguérissable, Il est brimé dans son élan par l’épilepsie. Avec ses deux personnages vivant dans l’incomplétude, ce film jongle intelligemment, comme chez Duras ou Virginia Woolf, avec les motifs de l’absence, de l’incapacité d’appartenir pleinement au monde et à soi, du sentiment d’être tronqué et décalé, sinon inadéquat. Jusqu’à ce que l’amour se fasse un véritable chemin, non sans heurts, mais dans la lumière.

Vue selon trois perspectives, ce film en trois actes se construit néanmoins dans une temporalité fracturée, d’abord à travers les yeux de Nicolas, puis ceux d’Isabel et finalement dans une vision accordée de leur vie commune. Les mêmes scènes phare servent de point d’appui au récit qui se déconstruit et se refaçonne selon l’un ou l’autre des points de vue, à travers le jeu de la mémoire et de la perception: un scénario qui n’évite pas ainsi quelques clichés post-modernes mais qui se construit de manière très éclairante.

Également hommage à la photographie par son personnage de photographe et par un souci manifeste de la composition et du cadrage, Sabras que hacer conmigo est un film émouvant, profondément humain, et porté par des performances d’acteurs remarquables, surtout la brillante Ilse Salas.


 

Notre journaliste est au Mexique à l’invitation du festival international du film de Los Cabos.

 

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