Fermeture d’ExCentris: le résultat d’une trop grande frilosité?
L’annonce de la fermeture « provisoire » du cinéma ExCentris désole le milieu du cinéma, qui s’est lancé dans un concert d’éloges et de réflexions sur les moyens de faire survivre le lieu. Au milieu du tumulte, nous avons repéré la voix discordante et éloquente d’Ariel Esteban Cayer, programmateur pour Fantasia et directeur de Film POP, qui lance un pavé dans la mare et de nouveaux éléments de réflexion.
Ariel Esteban Cayer est un cinéphile comme il s’en fait peu. À l’affût des avant-gardes et des avancées du cinéma partout dans le monde, il se passionne pour les cinémas de tous genres et se montre toujours exigeant. En plus de programmer Film POP et une partie de Fantasia, il termine un baccalauréat en Film Studies à l’université Concordia. Devant la fermeture d’ExCentris, annoncée cette semaine dans la consternation générale, il n’a pas sourcillé. La chose était prévisible, pense-t-il, l’ExCentris ayant échoué à définir son véritable rôle dans l’écosystème culturel montréalais et n’ayant pas assez cultivé le risque. Nous vous offrons ici une lettre ouverte adaptée d’un statut publié sur Facebook le 24 novembre 2015, ainsi que des pistes de discussion qui suivirent.
Quel excentrisme?
Un texte d’Ariel Esteban Cayer
Bien que je partage la colère de tous, elle ne semble pas provenir de la même place. Je ne partage pas la mélancolie, la tristesse, ou l’effarement généralisé qui fait suite à l’annonce de la fermeture provisoire (?) de l’Excentris. Le milieu du cinéma québécois vient de perdre un allié, certes, mais tout le reste me frappe comme une inéluctabilité. Un évidence, que je vois venir depuis 2011 à grands coups de potages trop chers, d’ambiance aseptisée, de Nespresso™ qui goûte l’eau et de programmation sans grande surprises. Autant de signes d’un embourgeoisement progressif et assumé, d’une atrophie devenue tranquillement indissociable des lieux et de cette conception typiquement montréalaise de la culture comme d’un « privilège », comme d’une tour d’ivoire au sommet de laquelle vous n’êtes pas réellement invités.
Qui suis-je pour commenter? Moi qui, parmi tant d’autres, ne met les pieds dans la bâtisse – à quelques films près – qu’en temps de festival et de projection de presse? Un hypocrite qui fait partie du problème, voilà ce que je suis! D’autant plus que je ne suis pas dans la position d’être nostalgique d’une « belle époque » (assurément celle qu’on pleurait cette semaine). Je ne peux que constater un enchaînement de décisions étranges n’ayant, en 4 ans, jamais parvenu à donner à l’établissement ce second souffle tant escompté. Outre l’affect glacial des lieux, que dire, par exemple, de cette plateforme de VOD complètement anachronique, sur laquelle louer Boyhood coûte plus cher qu’un abonnement mensuel sur Netflix, Fandor, MUBI ou Hulu? Ne sommes-nous pas en 2015, comme disait l’autre?
Dans son communiqué de presse, l’Excentris mentionnait s’être « battu sans relâche pour le maintien de son mandat de diffusion dans un contexte d’industrie en mutation», pour ensuite, à défaut d’assumer une part de responsabilité, blâmer les « distributeurs en films d’auteur à plus large portée » de ne pas avoir su coopérer.
« Malgré ses efforts, y lisait-on, c’est à armes inégales qu’Excentris a dû faire face à la forte concentration de la distribution et de la diffusion de films au pays. […]Pour maintenir son activité, Excentris n’aurait eu besoin que de 4 films porteurs supplémentaires cette année, comme ce fut le cas en 2013 et 2014. Or, plusieurs de ces titres nous ont été soit purement et simplement refusés, soit proposés plusieurs semaines après leur sortie sur les écrans du plus gros exploitant situé à proximité d’Excentris. »
Plus qu’une injustice systémique, certes, indéniable, je me permets de demander : si la logique initiale du Cinéma Parallèle ne fonctionnait plus, pourquoi chercher à la répliquer coûte que coûte, en temps de plus en plus hostiles? Bien qu’au final, le mandat de l’Excentris soit admirable (un modèle voulant 80% de films d’art et d’essais pointus et/ou locaux, vis-à-vis 20% de film d’auteurs grand publics résultant au ratio opposé en terme de recettes), n’est-ce pas, au final, une conception conservatrice de la programmation « de répertoire » qui sonna le glas de l’établissement?
C’est en lisant l’excellent texte rédigé par Mathieu Li-Goyette, collègue, ami et rédacteur-en-chef de Panorama-cinéma, que j’ai découvert une piste de réflexion pertinente par laquelle aborder ce problème.
« Cette chute, écrit-il, est plutôt le résultat d’une longue liste de décisions politiques et des habitudes citoyennes qui s’y moulent où l’on privilégie dorénavant l’événementiel, ses allures festives et, surtout, ses potentielles retombées (économiques et de prestige). Ce sont ces décisions qui ont fait de Montréal la ville « culturelle » qu’elle est aujourd’hui. Une ville d’espaces vides, complètement lissés, « culturables » à volonté. Une ville où les manifestations artistiques sont de plus en plus liées transversalement par la logique bureaucratique et normative du modèle des subventions. L’idée même d’y vivre à titre de travailleur du milieu culturel devient presque farfelue, puisqu’on ne cesse d’y placer la culture comme la matrice de retombées économiques tierces (telle est la logique de la Place des Festivals) sans jamais respecter l’économie qui lui est propre et qui fait vivre les gens qui la constituent. »
Plus que mettre le blâme sur les distributeurs, le public, les instances publiques ou notre écosystème qui – oui – peut être dysfonctionnel, ne devrait-on pas s’interroger également sur le rôle fondamental du programmateur dans l’œil de la tempête? Sans minimiser le problème systémique qui afflige l’exploitant, rend la compétition féroce (voire impossible) et découle d’un manque flagrant de salles à Montréal, l’acte de programmation lui-même n’est-il pas la base à laquelle il faut retourner, la seule issue, la seule façon de faire face à cette logique « bureaucratique et normative », à ce lissage systématique de nos espaces culturels?
Si l’industrie n’est plus au rendez-vous, si ces films-bouées ne sont plus rendus disponibles à des salles comme l’Excentris, n’en revient-il pas à l’équipe de programmation de changer la donne? De renouveler son mandat? De faire de son espace (et quel espace!) un lieu convivial, chaleureux, stimulant, démocratique et, justement, événementiel? Un lieu de célébration du 7e art qui fait fi de cette logique purement marchande? Qui, faute d’issue « traditionnelle », se permet de réellement prendre des risques? L’idéaliste en moi s’emporte, bien entendu, et est conscient des diverses contraintes auquel un cinéma comme l’Excentris doit faire face (la première étant qu’il faut faire une piastre, toujours une piastre), mais est-ce si farfelu? Après tout, comment faire face à la logique événementielle? Avec une logique dépassée, tout aussi stérile et limitrophe?
Au mérite de l’Excentris, la rétrospective interrompue dédiée à François Delisle, semblait être un pas dans la bonne direction, mais autrement, où étaient les copies 35 qui ne se répliquent pas à la maison? Les restaurations de films favoris? Les programmes doubles et thématiques qui impliquent une véritable réflexion sur le cinéma et la cinéphilie? Les copies 16mm rares et grafignées? Les projections de minuit? Les choix de programmation immanquables? L’esprit de fête, tout simplement? Je suis assurément rêveur et naïf, mais devant l’impossibilité de remplir ses coffres avec les sorties opportunes d’un Hateful Eight ou d’un Carol, l’Excentris n’aurait-il pas dû se tourner vers un autre modèle, une autre potentielle vache à lait? Pourquoi concevoir d’une quelconque alternative au comme d’une abdication ou d’une défaite? Parce qu’il n’y pas d’autre modèle que le modèle existant?
Au titre d’anecdote, on apprenait la semaine dernière que le mythique Out 1 de Jacques Rivette – un film de 13 heures, rien de moins, présenté en nombreux blocs – détrônait, le temps d’une journée, Brooklyn et Spotlight au box-office newyorkais, récoltant, au final, quelques $23,855 sur 16 jours. J’en conviens, ce n’est pas Avatar, mais ce n’est pas négligeable non plus. Et bien que Montréal soit bien loin de l’abondance cinématographique de New York, c’est ce type de choix de programmation audacieux qui m’inspire en partie l’idéal de cette lettre.
Ce n’est pourtant pas le cinéma et, par conséquent, les idées qui manquent. Si le système ne fonctionne plus, si le monopole de Parc/Beaubien-Guzzo-Cineplex s’avère trop imposant, il faudra bien concevoir des alternatives. Faire face au wild west avec l’esprit du cowboy? Être un peu hors-la-loi? Réviser le modèle pour laisser plus de place aux micros-cinéma à la Blue Sunshine? Se tourner, pour de bon vers ces ciné-clubs nomades (La Banque, VISIONS, Ciné-club/Film Society) qui prolifèrent et qui programment bien mieux que toutes ces salles en bonnes et dues formes que l’on désire sauver? Normaliser ce statut de « festival permanent » chez tous les exploitants, pour leur permettre de faire affaire aux distributeurs étrangers? Qui sait…
Je n’ai pas des réponses concrètes, je n’ai qu’un désir d’établir un dialogue sur la façon que l’on conçoit collectivement l’expérience de la salle, l’alternative, la communauté et le foisonnement cinéphilique (plus que simplement marchand) que celle-ci peut représenter en 2015. Si les festivals fonctionnent, c’est parce qu’ils font preuve non seulement d’un véritable travail de programmation (pour la plupart), mais également d’un sens de communauté et de démocratisation du médium; un certain contact humain qu’on peine à retrouver ailleurs et une alternative certaine à la VOD solitaire. À l’inverse, on lamente ici la chute d’un plan d’affaire et non celui d’un cinéma; d’une façade culturelle, et non d’une culture vivante et polymorphe. Faute d’un véritable travail de programmation, le problème d’« espaces vides, complètement lissés, « culturables » à volonté » que soulève Li-Goyette ne s’étend-il pas également à la salle de cinéma – ce pilier fondamental de la cinéphilie, par où devrait passer toutes les rencontres?
Face à ces questions, je ne peux qu’avoir une certitude : une pensée sincère et empathique pour tous les membres de l’équipe qui, cette semaine, perdaient leurs emplois. Ces emplois-là, on n’en vivra peut-être plus longtemps, mais j’ose espérer que le cinéma subsistera tant et aussi longtemps que la programmation restera, plus qu’une gestion, un métier. Contrairement à la vaillante Cinémathèque, qui signait ce mois-ci un excellent programme, la salle devient, hélas, le domaine du gérant, et non celui du programmateur.
La véritable tragédie, dans le cas de l’Excentris, aura été le refus apparent de concevoir le potentiel d’un lieu différemment, et d’avoir su s’adapter à une industrie en constante transformation. Pour tout le reste, j’espère que le trop peu de salles qui demeurent ouvertes sauront reprendre le flambeau où le flambeau mérite d’être repris.
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Bravo pour ce texte bien écrit et plein de perspective.
Non ..mais …Il vas nous rester quoi pour connaître le cinéma d’auteurs? Faudra se fier aux cinéma Guzzo ?? Lui qui méprise sans bon sens le cinéma québécois ou dailleurs pourvu que ca viennent des navets de Disney ou de Paramount ou made in Hollywood..!!