Of the North, un film raciste?
Of the North est un film raciste, a lancé Tanya Tagaq la semaine dernière, créant une onde de choc qui ne s’essouffle pas. Voir a tenté de mettre les deux parties en dialogue. Récit.
Il y a eu trop d’échanges belliqueux depuis une semaine à propos du Of the north de Dominic Gagnon, documentaire expérimental à propos de la façon dont le Nord se filme et projette son image sur les médias sociaux. Beaucoup d’échanges sans saveur et beaucoup trop de soliloques de défenseurs de l’art ou de la cause inuit. Bien peu de dialogue au bout du compte, bien peu de compréhension de l’un ou l’autre des points de vue, à savoir le langage privilégié par le cinéaste Dominic Gagnon ou la réaction du cœur de la chanteuse Tanya Tagaq. Voici notre tentative de faire se rencontrer les perspectives du réalisateur de Data, RIP in pieces America et Big Kiss Goodnight et de la chanteuse aux quatre albums et un prix Polaris.
La journée début par un entretien avec un Dominic Gagnon quelque peu épuisé par la subite attention médiatique dont il est l’objet, lui qui a toujours évolué en circuit fermé et dont les films n’ont jamais bénéficié de sorties en salle.
«Il y a plusieurs chocs qui arrivent en même temps pour un spectateur qui n’est pas préparé à la matière que je lui propose. Le premier choc c’est que je n’ai pas tourné les images que j’utilise, le deuxième choc est que je ne me suis jamais rendu sur les lieux que je dépeins. Je ne fais pas de films sur les gens, mais plutôt sur la façon qu’ont les gens de se filmer.»
Voilà la première chose à comprendre pour le spectateur lambda qui voit le nom de Dominic Gagnon
apparaître pour la première fois. Le documentariste a une démarche qui s’apparente à celle des arts plastiques, au collage. Il y a donc lieu de mettre le tout en perspective avant de le critiquer ou de dire que son film n’est qu’une succession d’images pas cadrées le tout avec une posture d’artiste d’avant-garde dixit André Dudemaine, le directeur du festival Présence autochtone. Et Dominic Gagnon de poursuivre :
«Je crois que ce serait très irresponsable de mettre ce film en libre accès sur internet. Ce film nécessite une mise en contexte et un encadrement, ce que m’offraient les RIDM. J’aurais aimé que la période de questions suite à la première de mon film se déroule autrement. J’aurais aimé avoir plus de gens de la communauté Inuit (ils ont été invités) présents et qu’on puisse avoir un débat dialogique et constructif. Ce n’est malheureusement pas ce qui s’est passé. On m’a traité de suprémaciste blanc, de raciste et de colonialiste alors que mon cinéma tente justement de regarder en face ces phénomènes pour mieux les saisir dans leur plus simple aberration.»
Au moment où l’on parle à Tanya Tagaq, la journée se termine et on espère aller chercher chez elle autre chose que les tweets pugnaces qu’elle avait laissés circuler depuis quelques jours. Au lieu de cela nous avons trouvé une artiste profondément bouleversée par le film. «Je me sens triste et perturbée depuis que j’ai vu ce film. J’ai eu beaucoup de mal à dormir et je ne comprends toujours pas l’intention qui est derrière cette œuvre.» Car avec Of the North, on assiste à un collage de moments pas très glorieux dans un Nord bien loin du Nanook de Flaherty. Des scènes de chasse et de pêche disgracieuses, des grosses brosses sur des plateformes pétrolières et de l’exploitation sexuelle. Avec Gagnon, aucun doute possible, nous sommes arrivé en 2015 et non plus en 1922. Et c’est précisément cela qui a blessé la chanteuse.
«Quand un cinéaste propose un film qui met autant d’emphase sur les faiblesses de ma communauté, cela provoque un effet négatif. Cette violence qui est représentée à l’écran nous replonge dans le même engrenage et les mêmes préjugés et génère d’autres violences. Cela porte offense à ma personne, à ma famille, à mes proches. C’est pour cela que j’ai eu une réaction à ce point épidermique, je m’inquiète du sort de ma fille, de ma famille et de gens qui ont déjà traversé beaucoup d’épreuves.»
Et c’est ici que les réponses de Tagaq deviennent intéressantes, car ce sont les questions de représentation qui l’intéressent. Gagnon est passionné par le même sujet, à travers toute sa filmographie il inventorie les façons de se représenter par le web. Il y avait toutefois une situation vraiment perturbante, le véritable sujet du débat était écarté et il ne subsistait que le pathos dans les nombreuses réactions qu’a suscitées ce petit scandale. Et Tagaq de poursuivre :
«Nous devons négocier avec ces représentations que l’on se fait de nous, tous les jours de notre vie. Nous sommes la lie de la société, les gens qui n’ont pas de Dieu, les gens qui n’ont pas d’espoir et en tant que femme Inuit je vis également avec cette réalité. Au Canada aujourd’hui on combat ces préjugés. Avant d’entrer en scène, on m’avertit de ne pas trop boire, je me fais suivre dans un magasin parce qu’on croit que je vais voler quelque chose.»
On peut ainsi un peu mieux comprendre la réaction forte de la chanteuse dans ce contexte où la parole peut se déployer, ce qui n’est pas le cas lorsque vient le temps de s’exprimer sur Twitter. Il n’y a eu jusqu’à maintenant que deux projections de ce film au Canada, dont l’une a été bloquée par des activistes qui n’avaient peut-être même pas vu le contenu et s’étaient laissés emporter par les tonitruances du web participatif. Peut-être qu’avant de condamner un film qui est tout sauf raciste, on aurait dû regarder, dialoguer et ensuite faire du bruit si nécessaire.
«Je pense, dit Dominic Gagnon, que mon film tente d’agir comme un poème et non comme un engagement direct. Lorsque j’ai présenté ce film en Nouvelle-Calédonie devant certains Kanaks (population autochtone), ils se sont reconnus dans le film. C’est ce que je souhaite avec ce documentaire, que le spectateur soit libre et non prisonnier de représentations statiques et datées.»
Après ces deux entretiens avec les artistes, la chanteuse Tanya Tagaq a souhaité être mise en relation avec le réalisateur Dominic Gagnon. Aux dernières informations, ils ont réussi à dialoguer sur skype et se sont plutôt bien entendus.
Le collage est une (re)construction à partir d’images. Non une simple succession de morceaux choisis. Le film de Gagnon est une anthologie de courts pigés sur Internet. Son « art » est celui d’un étalagiste, pas celui d’un cinéaste digne de ce nom. Le spectateur lamda, pour lequel on montre ici un mépris petit-bourgeois caractéristique, est bel et bien capable de dire le roi est nu. C’est ce qui dérange dans certains cénacles.
En effet Dominic Gagnon dit qu’il fait un film sur la façon qu’ont les gens de se filmer: quels gens? Les gens dont il a choisi de reproduire les représentations? Donc son film devrait peut-être s’appeller; « off the drunken and pathetic North » et non « off the North » Gagnon ne peut pas s’exclure de son processus éditorial puis que c’est çà qui est à la base de son style de cinéma…ses choix, sa sélection. Il a carrément refusé de répondre aux questions après la représentation de son film…
Parlant de mépris… Votre commentaire en est un bel exemple.
https://www.youtube.com/watch?v=tS8RZcKQwBA
Je ne suis absolument pas d’accord avec ce que vous dites, Mr Dudemaines, et que vous avez une vision bien étroite de ce qu’est ou devrait être le cinéma. Ce billet écrit par Fabrice Montal de la Cinémathèque Québécoise pourra vous aider à comprendre la démarche de ce très bon artiste: http://revue24images.com/blogues-article-detail/2706
je me demande qui de lui ou de vous est le petit bourgeois dans tout ça. Ce que dépeints Of the North est bien réel, je l’ai vu et vécu. Je pense que vous devriez entrer dans le 21ème siècle.