Éric Falardeau : Porno-comédie
Avec un projet de comédie érotique grand public dans le collimateur pour 2016, le cinéaste Éric Falardeau poursuit une œuvre discrète mais constante de stupre et de fornication. Refera-t-il du Québec un paradis de cinéma affriolant comme dans les années 1970? On en rêve avec lui.
En pays neufs
Cinéaste et auteur peu connu du grand public, Éric Falardeau s’intéresse de très près au cinéma pornographique et gore. Le livre qu’il a consacré à la série Bleu Nuit rend compte d’une vision plutôt décomplexée et plurielle du cinéma érotique. Avec un mémoire de maîtrise en études cinématographiques intitulé Vers une exposition de la haine: gore, porno et fluides corporels, il n’y avait pas de doute sur les préoccupations esthétiques du cinéaste.
Pour Falardeau, tout a débuté à Senneterre en Abitibi. «Je suis un enfant des années 1980. J’ai donc découvert le cinéma comme bon nombre de mes contemporains via la télévision. Le club vidéo a aussi joué un rôle important dans mon éducation, et comme la section horreur était plutôt bien fournie, j’ai développé des affinités avec ce cinéma. Je peux résumer mon éducation comme un croisement entre Eric Rohmer, le cinéma d’horreur et les films produits par la société Troma – mélange de comédies sexy et de films d’horreur de série B ou de films de catastrophe nucléaire.»
«Senneterre fut représenté au cinéma avec L’âge de la machine de Gilles Carle et par le très pittoresque En pays neufs, de l’abbé Maurice Proulx», nous rappelle au passage Falardeau. C’est le lieu de son éducation au septième art avant le déluge 2.0, mais aussi celui où il développe un amour pour la littérature et les personnages. Deux revues joueront un rôle capital dans la formation de son imaginaire, Séquences et ses dossiers thématiques, de même que Fangoria pour ses couvertures de films d’épouvante.
L’érotisme à TQS
Par-dessus tout, un sujet éveille sa curiosité adolescente: la découverte de la sexualité par le truchement d’une série de films érotiques. C’est le choc Bleu Nuit.
«Simon Laperrière et moi étions en compagnie d’un invité du festival Fantasia et parlions de Maple Syrup Porn, une expression attribuée au cinéma érotique québécois des années 1970. Au fil de la discussion, on s’est rendu compte qu’aucun travail n’avait été fait ici au Québec sur notre rapport à la pornographie et aux films softcore. La discussion a vite rebondi sur Bleu Nuit, cette série culte que nous avons tous secrètement regardée dans notre adolescence. Le projet de livre, paru aux éditons Somme toute en 2014, était né.»
Bleu Nuit, Histoire d’une cinéphilie nocturne décrypte la série qui a formé une génération de masturbateurs anonymes à travers le Québec avec des entrevues de Guy Fournier, de l’ex-gloire de la porno française Brigitte Lahaie, des critiques de films, des récits initiatiques, des essais (un superbe texte de Samuel Archibald) et de belles illustrations (Jimmy Beaulieu, dont l’illustration est reproduite en nos pages, ainsi que Gabrielle Laïla Tittley, Cathon et Pascal Girard). Ce livre élégant raconte notre rapport à la nuit quand elle s’érotise par le truchement de l’écran cathodique. Un beau travail d’édition qui tente de circonscrire le phénomène Bleu Nuit comme un véritable phénomène culturel qui a défini notre rapport à la chose sexuelle.
Un projet de comédie érotique
Éric Falardeau travaille aujourd’hui sur un projet de comédie érotique grand public inspirée par des titres des années 1970-1980 comme Que les gros salaires lèvent le doigt ou encore On se calme et on boit frais à Saint-Tropez, qui alliaient l’humour à un projet érotique. Il est nostalgique de cette époque du cinéma où la suggestion érotique, plus que le gros plan pornographique, tentait de désacraliser le corps.
«Ce sera une comédie « paillarde » inspirée d’une BD italienne. C’est un film coquin, léger et amusant, une proposition à contre-courant qui fait selon moi cruellement défaut dans le paysage cinématographique actuel, une réponse au cynisme et à la vision négative entourant la plupart du temps la représentation du sexe à l’écran. Surtout au Québec où tout est lourd, chargé, intériorisé. Il s’agit d’une comédie érotique qui fait référence autant au cinéma des années 1970 qu’au burlesque à la Buster Keaton, en passant par la comédie parodique américaine des années 1980. Le film est développé comme une coproduction avec la France. On fera des annonces bientôt, mais on a déjà quelques acteurs qui ont dit oui, des légendes du genre!»
Ses deux premières réalisations étaient plutôt sombres. Thanatomorphose, son premier long métrage, raconte la lente putrescence d’une jeune fille qui finira par sombrer dans une folie meurtrière. Son court métrage d’animation Butoh raconte le quotidien bouleversé d’une bande de créatures par l’arrivée d’un couple d’êtres humains. La prochaine aventure cinématographique risque d’être fort différente. «C’est l’histoire d’un homme qui est malgré lui entraîné dans une série d’aventures érotiques, car toutes les femmes sont folles de lui, à son grand dam.» Éric Falardeau le décrit comme un «Buster Keaton du cul»…
«Ce projet est une tentative d’affirmer haut et fort que la sexualité est d’abord et avant tout une source de bonheur, de jouissance et de joie de vivre. Nous en avons grandement besoin dans un monde où l’imagerie érotique et pornographique n’a jamais été aussi présente (pensons à la publicité) et, paradoxalement, dévalorisée. La présenter de manière positive est en quelque sorte un acte de résistance lui redonnant son potentiel subversif.»
Un projet qui nous met en joie. Entre-temps, Éric et son équipe travaillent aussi à un court métrage d’erotic fantasy avec des marionnettes, façon Muppet Show. Les coquins qui fréquentent le Salon de l’amour et de la séduction en ont déjà eu un avant-goût. À suivre.