Marcel Jean : Vague de chaleur à la Cinémathèque
2016, année érotique?

Marcel Jean : Vague de chaleur à la Cinémathèque

2016 sera l’année où la Cinémathèque québécoise, au cœur d’un été qui s’annonce brûlant, programmera un cycle érotique faisant la part belle aux stars dénudées. Un bon prétexte pour discuter érotisme au cinéma avec l’érudit Marcel Jean.

«Si l’on se réfère à Bataille, l’érotisme c’est l’échancrure, explique Marcel Jean. Ce qui est le plus érotique, ce sont les six centimètres entre la jupe de la femme et le haut de son bas…» L’idée de consacrer un cycle au cinéma érotique s’est imposée à lui dès son arrivée à la direction de la Cinémathèque en mai dernier quand il s’est fait offrir une copie 35mm des Héroïnes du mal, réalisé par Walerian Borowczyk en 1979. Il y voit l’occasion parfaite d’aborder l’érotisme au cinéma, notion intéressante car mouvante. En effet, depuis longtemps, l’art cinématographique compose avec cette question de la représentation sexuelle. Il y avait même déjà des films érotiques au temps du muet, tel Extase de Gustav Machatý en 1933!

Une scène de L'homme blessé (1983), un film de Patrice Chéreau / Collection Cinémathèque Québécoise
Une scène de L’homme blessé (1983), un film de Patrice Chéreau / Collection Cinémathèque Québécoise

«Avec l’évolution sociale et morale, ce qui était érotique à une période ne l’est plus à une autre», développe Marcel Jean, citant Un été avec Monika d’Ingmar Bergman, film de 1953 très inoffensif aujourd’hui. «La manière dont l’héroïne défie les conventions et regarde la caméra, c’est le summum de l’érotisme parce qu’une jeune femme n’assume pas son corps comme cela à l’époque. Cela a donné des fièvres à plus d’un!» À l’inverse, Pretty Baby de Louis MalleBeau-père de Bertrand Blier ou certains films de David Hamilton paraissent extrêmement choquants de nos jours en raison des relations qu’entretiennent des hommes d’âge mûr avec des adolescentes ou des fillettes. «Ces films étaient diffusés dans des multiplexes. Aujourd’hui, il n’y a plus le même niveau de tolérance dans la société.» Parfois, ces perceptions varient d’un continent à un autre. Si 36 fillette de Catherine Breillat a connu un succès aux États-Unis et au Canada anglais, il n’a pas marqué l’Europe. «Dans l’érotisme, il y a aussi l’exotisme, la façon que l’on a de regarder une autre culture, de s’exciter face à cela.»

Une scène de Valérie (1968) / Crédit: Robert Binette Collection Cinémathèque Québécoise
Une scène de Valérie (1968) / Crédit: Robert Binette Collection Cinémathèque Québécoise

Monika de Bergman, donc, mais aussi La tour de Nesle d’Abel GanceLe jeu avec le feu et L’homme qui ment d’Alain Robbe-GrilletLes lèvres rouges de Harry KümelThe Rainbow de Ken Russell et des films de José Benazeraf: au total, le cycle présentera une quarantaine d’œuvres issues de divers territoires, y compris le Japon avec ses films érotiques, dits pinku eiga. Au Québec, marqué par la censure, on retrouvera Valérie de Denis Héroux de 1968, qui, sous ses allures moralisatrices, a marqué l’époque. «Il en profite quand même pour montrer des femmes aux seins nus et des scènes de lesbianisme!» Aussi Deux femmes en or de Claude Fournier de 1970 avec ses deux épouses insatisfaites qui multiplient les relations sexuelles, et Après ski de Roger Cardinal de 1971. «Ici, les femmes enlèvent le bas. On s’ouvre sur une représentation frontale du corps et la possibilité d’un cinéma pornographique québécois qui coïncide avec l’avènement du Nouvel Hollywood.»

Un anticonformisme social s’est affirmé dans le cinéma érotique des années 1970. «Aujourd’hui, alors qu’on trouve tout sur le net, le cinéma est extrêmement prude.» Tout est policé: les relations hommes-femmes, la question des libertés sexuelles, les comportements moraux. «Dans le système de financement public actuel, on va vite tout vous reprocher: de fumer une cigarette, de baiser sans condom, tout est piégé à partir de là.»

L'ange et la femme (1977), un film de Gilles Carle / Collection Cinémathèque Québécoise
L’ange et la femme (1977), un film de Gilles Carle / Collection Cinémathèque Québécoise

Ainsi, à mesure que le cinéma érotique a déserté les salles, la pornographie 2.0 a proliféré. Dans un tel contexte, comment évoquer le désir et le plaisir? «Excellente question. Le cycle va interroger cela. Il sera impératif d’avoir des discussions, des débats et des colloques.» La période des années 1990-2000 sera donc aussi évoquée avec Baise-moi de Virginie Despentes9 Songs de Michael WinterbottomL’ange et la femme de Gilles Carle et des films de Bertolucci et de Brisseau.

Surprise: le salut en la matière pourrait venir des cinéastes d’animation féminines! Les femmes y sont très nombreuses à aborder frontalement la sexualité, de façon plus libre que les hommes, selon Marcel Jean, qui cite des cinéastes comme Yoriko MizushiriMichèle CournoyerFlorentine GrelierSigne Baumane, et Izabela Plucinska. «Elles ont construit les choses sur une absence de corps et ont ramené la question de l’évocation au premier plan.» Dans une époque où la chair se dévoile à toutes les sauces et sous toutes ses coutures, c’est donc d’un cinéma d’animation sans corps véritable que pourraient jaillir liberté et créativité!