Danielle Ouimet : Parole d’initiée
Elle a osé enlever le haut dans les légendaires films érotiques Valérie et L’initiation, projetant brutalement le Québec dans une modernité qu’il tardait à embrasser. Mais Danielle Ouimet est demeurée toute sa vie une observatrice du cinéma érotique. Elle livre ici souvenirs et regards sur un genre olé-olé.
J’ai été projetée dans le cinéma érotique à l’âge de 21 ans . Je n’avais pas alors eu le privilège de visionner préalablement le moindre petit film osé : formellement interdit par mes parents et par le curé. Si j’ai entamé le tournage de Valérie (en 68) avec une envie de liberté totale, je l’ai fait malgré tout avec une grande pudeur, supportée par un Denis Héroux qui a respecté toutes mes limites. Elles ont été nombreuses. C’était un homme élégant, dont je tiens à honorer la mémoire. C’est ainsi que s’est imposé à l’écran, et tout naturellement, une grande et véritable candeur. Elle a tout de même su plaire à une population avide de s’affranchir sexuellement, devant un clergé qui en menait encore large.
Quand on a vu que le film avait fait un million en 6 mois au prix de 1,75$ l’entrée, les producteurs ont voulu faire de la surenchère. L’initiation est arrivée. Puis dans la foulée s’est imposé Deux femmes en or. Et ensuite, difficile d’aller plus loin : il y eut un plafonnement. Je me rappelle notamment avec émotion le seul film à saveur érotique de Jean Beaudin, Le diable est parmi nous, au sujet duquel il garde un souvenir amer parce que ses producteurs, peu satisfaits de la charge érotique, lui avaient imposé quelques scènes disgracieuses et avaient modifié son montage. Par respect pour ses acteurs, Daniel Pilon, Louise Marleau et moi-même, Jean avait signé le film, mais ne l’a jamais reconnu. Il y eut ensuite des films érotiques à saveur comique, comme La pomme, la queue et les pépins; Après ski et Sept fois par jour. On ne peut pas dire que nous ayons été de grands créateurs du genre…
Il nous aurait fallu tirer des leçons du cinéma étranger. Les images tout autant que les scénarios y étaient franchement plus soignés. J’ai beaucoup aimé la série Emmanuelle, par exemple : des films très esthètes, aux cadrages léchés qui donnaient au sexe un petit quelque chose d’irréel. Les scénarios manquaient parfois de chair; on jugeait ces longs métrages par des critères esthétiques avant tout. Mais leur simplicité et leur fraîcheur faisaient du bien.
La France a fait du cinéma érotique à sa manière. Plus intellectuels et libres penseurs, les réalisateurs français, il me semble, ont toujours eu plus de difficulté à s’imposer dans le genre. Mais ils ont souvent fait mieux que les Américains.
Est arrivé alors, d’abord sur les écrans américains, un film d’origine danoise, mais tourné et publicisé à l’américaine. I, a women, en 1965, fit fureur. Toute la publicité s’appuyait d’ailleurs sur une représentation du Danemark comme pays de libertinage assumé. Ce film aussi avait été tourné en noir et blanc, comme Valérie, et il a essuyé des critiques acerbes. Mais il a fait fortune au box-office et donné à l’industrie l’envie de continuer et de raffiner le genre.
Je me souviens m’être retrouvée à New York dans les années 70, au moment du lancement du film The devil in Miss Jones. Un film carrément porno auquel on avait pourtant réservé une sortie en salle régulière. C’est un ami psychiatre qui m’y avait amenée en m’expliquant qu’il le suggérait à ses patients coincés dans leur sexualité, et à ses élèves pour expliquer le processus mental de la libido. Chez nos voisins américains, bien sûr, on ne pouvait parler sexualité sans une approche un brin moralisatrice ou éducative. Ma plus grande surprise fut de constater que le sexe y était généralement montré comme ne pouvant être que vertueux, régi malgré tout par une grande impudeur… mais en préservant la morale.
On le constate particulièrement dans ce film, qui raconte le destin d’une femme fade, sans histoire, qui avait décidé de s’enlever la vie. Arrivée en enfer, le diable s’éprend de cette pauvre fille qui ne méritait pas un tel châtiment et lui dit : « J’ai le pouvoir de te retourner sur Terre pour que tu puisses véritablement mériter non pas le ciel, mais ton enfer ». S’ensuit une série de scènes aux fantasmes plus extrêmes les uns que les autres, jusqu’au retour en enfer de la pécheresse…cette fois-ci pour des raisons mieux justifiées !!! Faut le faire.
Les années 80 ont été plus fécondes. J’ai beaucoup aimé 9 1\2 weeks (1986), l’une des plus belles oeuvres du cinéma érotique américain, de même que Basic instinct au début des années 90. Mais ce dernier baignait d’abord dans une intrigue policière. Ce qui était la meilleure manière de toucher 2 publics à la fois : les voyeurs et les aventuriers.
Le Québec a tiré son épingle du jeu avec des films qui avaient une saveur très locale et qui, peut-être, en disaient beaucoup sur notre envie d’indépendance et de reconnaissance. Ils n’étaient pas très aisément exportables mais ils ont résonné fort dans notre société, en pleine recherche d’identité à cette époque.