Terreur et tremblements
Cinéma

Terreur et tremblements

Eye in the Sky et London Has Fallen: deux films à gros budget, mais surtout deux films mettant bruyamment en scène le terrorisme, vont prendre l’affiche ce mois-ci. Bientôt 15 ans après le 11 septembre 2001, le cinéma ne se lasse pas de représenter un Occident terrassé. Analyse.

Londres est la cible d’un groupe terroriste qui souhaite anéantir certains des leaders mondiaux les plus puissants. Une faction de l’armée anglo-américaine se bat contre un groupe terroriste réfugié à Nairobi avec des drones. Voilà, en deux phrases, les prémisses des films London Has Fallen, de Babak Najafi, et Eye in the Sky, de Gavin Hood. Les deux films attireront un public nombreux, avide de ces récits glorieux dans lesquels, la plupart du temps, l’Amérique s’efforce de résister à son assaillant étranger et à ses méthodes terrifiantes. Le cinéma commercial post-11 septembre a d’abord été prudent et n’a abordé le terrorisme qu’à demi-mot. Mais qu’il l’ait ensuite fait à travers le film de superhéros ou le film de guerre, il ne s’est pas privé du potentiel dramatique inouï que représentent les attentats.

Gerard Butler est le chef des services secrets Mike Banning dans London has fallen / VVS Films
Gerard Butler est le chef des services secrets Mike Banning dans London has fallen / VVS Films

«Le film terroriste a toujours existé», précise Mathieu Li-Goyette, rédacteur en chef de Panorama-Cinéma, qui réfléchit à cet enjeu depuis plusieurs années. «Mais l’après-11 septembre a donné naissance à une filmographie particulière, dans laquelle l’Amérique se remet davantage en question que dans les films de la guerre froide, par exemple, qui opposaient frontalement et sans distance critique deux blocs idéologiques magistralement opposés.»

Un peu de pudeur et un peu de critique…

De fait, il a fallu quelques années avant que les attentats eux-mêmes puissent être représentés, d’abord dans le film-catastrophe World Trade Center, d’Oliver Stone, puis dans United 93 de Paul Greengrass, avec «davantage de justesse», comme le dit Li-Goyette. Avant cela, le cinéma américain des années 2000 aborde la chose de biais, par un cinéma du doute et de la peur, mais aussi un cinéma qui ne met pas en scène directement les attaques, se consacrant plutôt à ses après-coups. On y représente aussi le terrorisme «de manière allégorique», dans des films comme Transformers, «qui mettent en scène la paranoïa et la surveillance, ainsi que la dronisation des forces militaires».

Iron Man 2 movie image
Iron Man 2 movie image

«Dès le premier Iron Man, poursuit Mathieu Li-Goyette, on voit apparaître des robots, des vaisseaux dans le ciel qui pourraient tuer n’importe qui sur la planète. C’est l’expression d’une peur très contemporaine; la peur abstraite de l’ennemi robotisé, dont on connaît mal l’origine et les objectifs.»

Le film de guerre ne va pas tarder à suivre la parade. Se déroulant au Moyen-Orient, en Irak ou en Afghanistan, presque jamais sur le territoire américain (parce que l’attaque directe du territoire demeure un tabou cinématographique), ces films sont spectaculaires mais intègrent peu à peu une dimension critique. Le héros-soldat, dans les films d’action, est maintenant un homme de force qui est assailli de doutes et dont la conscience est torturée. Les rôles du bon et du méchant ne sont plus aussi clairs.

Matt Damon dans Green Zone, de Paul Greengrass
Matt Damon dans Green Zone, de Paul Greengrass

Le personnage de Jason Bourne, héros de la série littéraire créée par Robert Ludlum et incarné au cinéma par Matt Damon, en est sans doute l’incarnation suprême. «Ce héros doté d’une conscience psychologique, dit Li-Goyette, témoigne aussi d’un divorce entre la population et son gouvernement, d’un cynisme politique qui se retrouve dans beaucoup de films. Dans Green Zone, de Paul Greengrass, il y a une conscience d’un gouvernement et d’une armée viciés. Même chose dans Captain Phillips: certaines scènes montrent l’escouade américaine de manière plus terrorisante que les pirates somaliens. Disons que c’est tout le contraire d’un film hyperpatriotique comme Air Force One

Mais aussi de la propagande…

Ne soyons tout de même pas dupes: le cinéma américain a aussi marché main dans la main avec l’administration Bush, contribuant parfois à la propagande américaine. «Il y a eu des films de Michael Bay qui ont carrément été réalisés en collaboration avec l’armée américaine, dit Mathieu Li-Goyette. Ils montrent sa suprématie, son efficacité guerrière. Ces films-là exploitent les peurs les plus primaires des Américains. Et ça marche: ils font beaucoup d’argent avec ce genre de films.»

Transformers : Age of extinction, de Michael Bay / Paramount
Transformers : Age of extinction, de Michael Bay / Paramount

Les cinéastes américains, de manière générale, n’aiment pas entrer dans la tête du terroriste (comme le font les Européens, notamment ces jours-ci dans le film controversé Made in France, qui raconte l’attentat de djihadistes à Paris). Mais il y a de l’espoir. Il aura fallu attendre 15 ans après le 11 septembre 2001 pour que la série Homeland suive de près le cheminement d’un personnage qui devient terroriste de son plein gré, dans une tentative d’en comprendre la psyché.

L’avenir du film terroriste se trouve-t-il là? Qui sait.

London has fallen, en salle le 4  mars

Eye in the sky, en salle le 11 mars

Aaron Paul dans Eye in the sky, en salle le 11 mars
Aaron Paul dans Eye in the sky, en salle le 11 mars