Faste cuvée québécoise à Cannes
Cinéma

Faste cuvée québécoise à Cannes

En mai, la planète cinéma ne vit que pour Cannes. Ce sera une année plutôt faste pour le cinéma québécois, avec Xavier Dolan en compétition officielle, Kim Nguyen à la Quinzaine des réalisateurs et François Jaros à la Semaine de la critique. Coup d’œil.

À quelques jours de l’annonce de la sélection officielle du Festival de Cannes, le suspense n’était pas bien grand au sujet de Juste la fin du monde, premier film de Xavier Dolan avec une distribution française étoilée, les Gaspard UllielLéa Seydoux et Marion Cotillard trônant au sommet de l’affiche dévoilée au début avril. Le film commençait à se dévoiler doucement aux médias, signe que son montage a été terminé à temps pour Cannes et qu’il avait de bonnes chances d’être en compétition, vu l’amour que porte le festival à Dolan depuis ses débuts. Notre cinéaste prodige veut sa Palme d’Or et ne s’en est jamais caché, mais la compétition sera féroce avec, en lice, les nouveaux longs métrages des frères Dardenne (La fille inconnue), de Jim Jarmusch (une comédie cynique intitulée Paterson) ou de Pedro Almodóvar (Julieta).

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Crédit: Shayne Laverdière

On a bien hâte de voir comment Dolan s’appropriera Juste la fin du monde, une pièce de Jean-Luc Lagarce qui raconte le retour au bercail d’un écrivain (Ulliel) venu annoncer à sa famille sa mort imminente. Peu connu au Québec, Lagarce est une étoile de la dramaturgie française des années 1980 et 90 qui figure encore, 20 ans après que le sida lui eut arraché la vie, parmi ceux dont l’œuvre est la plus jouée sur les scènes françaises. Artiste entier dont le théâtre intimiste était aussi et surtout un théâtre de langue et de non-dits, Lagarce a consacré ses dernières pièces (dont Juste la fin du monde) à la cellule familiale et à des personnages partis au loin qui reviennent vers le berceau pour vivre leur drame final. Pas étonnant que Dolan s’y soit retrouvé, lui qui consacre une bonne partie de sa jeune œuvre à la famille et particulièrement à la relation mère-fils.

Mais contrairement aux dialogues flamboyants de Dolan, l’écriture de Lagarce est hachurée, pétrie de silences et d’incapacités de dire. Louis, en débarquant dans le salon familial, se trouve plongé dans une série d’interactions laborieuses, qui achoppent presque continuellement. Une pièce sur l’incommunicabilité profonde d’un clan jadis tissé serré. «Toute la pièce, lit-on dans un essai d’Elisabeth Richard et Claire Doquet sur les représentations de l’oral chez Lagarce, met en scène les interactions difficiles entre les différents membres de cette famille, qui tout à la fois ont tant et rien à se dire mais qui ne se (re)connaissent pas. Le texte joue de l’immédiateté des interactions, sur un fond de déjà-dit, déjà-su, qui dispense de l’explicite.»

«C’est pour moi un film qui, esthétiquement, n’a rien à voir avec les autres», a confié le cinéaste à La Presse. On s’attend assurément à une direction photo et à un montage moins frénétiques, mais surtout à une direction d’acteurs plus cérébrale, vu les particularités de la langue de Lagarce. Une chose est sûre, le Québec et la France auront les yeux rivés sur Dolan sur la Croisette.

Kim Nguyen filme le Grand Nord

Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, Two Lovers and a Bear est le premier film en anglais de Kim Nguyen, également la première œuvre lui valant une invitation à Cannes. On ne sait pas encore grand-chose de ce film hivernal, en partie tourné dans la région d’Iqaluit, dans des conditions difficiles. Le réalisateur du Marais et de Rebelle a insisté pour tourner dans le Grand Nord cette histoire d’amour mettant en vedette l’acteur américain Dane DeHaan et l’actrice canadienne Tatiana Maslany, d’après un scénario inspiré de souvenirs de voyages nordiques de Louis Grenier, fondateur des vêtements Kanuk.

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«Le film se déroule dans une ville contemporaine d’à peine 200 habitants, annonce Nguyen par voie de communiqué. Dans une zone arctique aux élans lunaires, là où la température tombe souvent sous les moins cinquante degrés. Ici, les routes ne font que s’effacer dans l’infini blanc. C’est dans ce décor extra-terrestre que Roman et Lucy, deux âmes torturées, sont tombés en amour. Mais Lucy garde un secret douloureux: un fantôme du passé la hante, la détruit. Elle doit le fuir, ou elle brûlera de l’intérieur. Ensemble, ces amants décident de fuir leurs démons, décident de prendre la route vers de meilleurs horizons. Ils foncent vers les espaces infinis de glace, où l’étrangeté peut parfois donner l’impression que le voyage est un voyage vers l’intérieur de soi-même.»

Déjà applaudi sur la scène internationale grâce à Rebelle, qui s’est rendu jusqu’aux Oscars, Kim Nguyen change de ton dans ce film qui flirte aussi un peu avec le fantastique, faisant notamment d’un ours polaire un personnage parlant…

Un mystérieux court métrage de François Jaros

Au Gala du cinéma québécois, François Jaros a déjoué tous les pronostics en remportant deux années consécutives le prix du meilleur court métrage, d’abord pour le ludique et syncopé Toutes des connes (un scénario de Guillaume Lambert, également acteur-vedette du film), puis pour Maurice, un film plus calme qui raconte la lente acceptation de la mort par un homme d’âge mûr, atteint de la maladie de Lou Gehrig. Deux tons, deux rythmes, mais dans les deux cas, une signature forte et un humour intelligent: Jaros est issu de la pub et propose jusqu’à maintenant un cinéma accessible et efficace.

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Mais son nouveau film sélectionné à la Semaine de la critique, Oh What a Wonderful Feeling, semble se ranger du côté d’une plus grande étrangeté, cultivant le mystère et les ambiances nocturnes angoissantes. Un film qui scrute l’inconscient et se drape d’onirisme, invitant les spectateurs à des interprétations diverses. La comédienne Karelle Tremblay, récemment vue dans Les êtres chers, d’Anne Emond, évolue doucement dans cette semi-pénombre, dans un film qui s’annonce impressionniste à souhait.

 

Mentionnons aussi que, comme d’habitude, Téléfilm Canada débarque à Cannes au Marché du film avec quelques films dans sa besace.