L’émouvant discours de Xavier Dolan à Cannes
La Palme d’Or a échappé au cinéaste québécois chouchou pour son film Juste la fin du monde mais il repart du festival de Cannes avec le Grand Prix. Il a livré, fidèle à son habitude, un discours émouvant, que nous vous invitons à lire dans son intégralité.
Ça va être très difficile.
Merci au Festival de Cannes; à Thierry Frémeaux; à Christian Jeune; à Nancy Grant mon amie, ma productrice, ma confidente; merci à Anne Dorval de m’avoir fait découvrir cette pièce. Merci Max, mes amis, ma famille, avec qui grâce à Dieu je m’entends beaucoup mieux que mon protagoniste avec la sienne. Merci à tous ceux qui ont fait de ce film une réalité: les agents, les distributeurs, les producteurs, les agents de vente à l’international.
Merci au jury. Merci d’avoir ressenti l’émotion du film. L’émotion, ce n’est pas toujours facile. Il n’est pas toujours facile de partager ses émotions avec les autres. La violence sort parfois comme un cri ou comme un regard qui tue. À partir du matériau fort qu’est Juste la fin du monde, du grand Jean-Luc Lagarce (que j’espère tellement ne pas avoir déçu, où qu’il soit), j’ai tenté au mieux d’extraire un film et de raconter l’histoire et les émotions de personnages parfois criards parfois méchants mais surtout blessés, qui vivent comme tant d’entre nous, comme tant de mères, de frères, de soeurs, dans la peur, dans le manque de confiance, dans l’incertitude d’être aimé. Tout ce qu’on fait dans la vie, on le fait pour être aimé. Moi, en tout cas. Pour être accepté.
Les personnages de Lagarce, magnifiquement imaginés par lui et si humainement joués et incarnés par Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Léa Seydoux, Vincent Cassel et Marion Cotillard, n’y échappent pas. Plus je grandis plus je réalise qu’il est difficile d’être compris, et, paradoxalement, je me comprends moi-même et je sais maintenant qui je suis. Votre témoignage, votre compréhension, votre amour ce soir me laissent croire qu’il faut faire des films qui nous ressemblent, avec le coeur, à l’instinct, et sans compromis, sans céder à la facilité. Même si l’émotion est une aventure qui voyage parfois mal jusqu’aux autres, elle finit toujours par arriver à destination.
Elle n’arrivera jamais par contre à mon ami François Barbeau, un grand chef costumier que vous ne connaissez peut-être pas mais qui, lui, vous connaissait tous et vous suivait tous. Un grand chef costumier, un grand artiste, qui détesterait d’ailleurs que je parle de lui ce soir. Si grand et si discret. Il nous a quittés sans prévenir, et sans avoir vu ce film. Je sais qu’il l’a vu, mais je regrette de ne pas l’entendre en parler.
J’étais ici il y a deux ans, et je vivais un moment déterminant dans ma vie. Et en voici un autre qui changera encore mon existence. La bataille continue. Je tournerai des films toute ma vie, qui seront aimés ou non, mais comme disait Anatole France, « je préfère la folie des passions à la sagesse de l’indifférence ».
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