Kiko, Romain Gary & Bar-B Barn
Cinéma

Kiko, Romain Gary & Bar-B Barn

Fantasia 2016 : Rencontre fortuite avec Gérard Kikoïne

J’ai contacté un programmateur de Fantasia avec l’idée de le suivre une journée de temps, en plein festival. Comprendre “le beat”, la folie inhérente à un tel événement  avec une programmation aussi vaste et variée que Fantasia, se déroulant en plein coeur de l’été montréalais. Nos agendas ont décidé pour nous et nous nous étions donné rendez-vous dimanche dernier. La vie de programmateur durant l’événement est aussi d’accompagner à Montréal les invités du festival; c’est alors qu’il m’a convié à 13h dans le lobby du Nouvel Hôtel sur René-Lévesque. Nous allions passer la journée au Jardin botanique avec Gérard Kikoïne, 70 ans, réalisateur français de films pornos. Compte-rendu d’une journée épique.

Assis dans un fauteuil du lobby de l’hôtel, j’étais on ne peut plus impatient de vivre cette journée assez particulière. En attendant l’heure dite, je jette un oeil à la production cinématographique du cinéaste en question: Parties fines, Dans la chaleur à Saint-Tropez, La clinique des fantasmes. Ouais, ce genre de journée. À l’arrivée de Simon Laperrière, programmateur à Fantasia, nous avons cherché Gérard Kikoïne – Kiko pour les intimes – dans la lobby, au restaurant, avant d’aller cogner à sa chambre où nous l’avons trouvé en pleine entrevue. Simon Predj, animateur du podcast Les oubliettes, s’entretenait avec le verbomoteur réalisateur. Nous nous sommes assis sur le lit et nous les avons laissé terminer. Après quelques minutes,  la tentation était trop grande, j’ai sorti mon calepin pour noter quelques unes de ses réponses, tant elles étaient fascinantes.

L’homme refusait d’étiqueter ses films de pornographiques, il préférait les présenter comme des films d’amour. Il parlait du plaisir qui régnait sur ses plateaux, sur ses plans à la Wells qu’il tentait de faire alors qu’il filmait pourtant une fellation ou une pénétration. Bien qu’il ne cherchait pas à l’époque de faire parler de lui dans les médias, il n’a jamais hésité à signer ses films de son nom, alors que les pseudonymes étaient courant dans le milieu. Il les signait dans l’espoir à peine voilé de se faire repérer par des grands groupes, pour faire du cinéma traditionnel. Il racontait comment, dans les années 80, tout à basculer. On ne pouvait plus faire passer de copies hard dans les cinémas. Mais les gens s’en balançaient un peu, on montrait les copies soft au censeur, alors qu’on envoyait les hard dans les salles de projection. Le gouvernement français est même allé jusqu’à faire des descentes policières en pleine projection pour voir qu’elle copie jouait, obligeant même un soir Kiko lui-même à franchir les Champs-Élysées, bobines censurées dans les bras, dans l’espoir d’arriver avant la police au cinéma. Je vous le dis, ce mec, vous pourriez l’écouter pendant des heures.

Ayant trop arpenté les rues du Vieux-Montréal dans les derniers jours, nous avons troqué le Jardin botanique pour une visite au quasi mythique Bar-B Barn sur la rue Guy, à quelques pas de l’hôtel. Kiko était en ville d’abord dans le cadre d’une projection de son film Lady libertine, un film érotique victorien produit pour Playboy en 1984, à la Cinémathèque québécoise. D’une pierre deux coups, Fantasia l’a invité à animer une classe de maître sur le film pornographique.

Autour d’un chicken bun, nous avons discuter de sa carrière, lui qui a fait le saut du film érotique au film traditionnel avec brio, tournant avec Anthony Perkins et Oliver Reed. Au détour d’une bouchée, je le questionne sur ce roman de Romain Gary qui trônait sur sa table de chevet à l’hôtel, juste à côté du Kikobook, rétrospective de sa carrière qu’il a écrit et publié aux Éditions de l’oeil, grâce à une campagne de sociofinancement. Il me dit qu’il ne cesse de relire L’affaire homme, recueil de chroniques du mythique auteur français. C’est ce genre de bouquin qu’il trimballe partout, annoté, lu et relu, qu’il peut ouvrir n’importe où pour le plaisir du texte.

La conversation a duré plus de deux heures, on a parlé des nouveaux aléas de la drague à l’ère numérique, de la physique quantique qui le fascine et d’anecdotes de tournages tout aussi tordues les unes que les autres. On a même eu droit à une histoire sur Kennedy que je ne retranscrirais pas ici, par peur de révéler un secret d’État. Le dîner tirait à sa fin, l’après-midi avait passé en un rien de temps. Je n’avais peut-être pas de texte sur un programmateur du Fantasia, mais j’avais une rencontre fascinante à raconter.  Et au final, c’est un peu ça Fantasia, fréquenter l’improbable et le marginal en toute pertinence.