John Waters : Trash et politique
Cinéma

John Waters : Trash et politique

Dans le cinéma de John Waters, le mauvais goût et le trash servent la critique acerbe d’une Amérique blanche et banlieusarde, dont la conformité apparente dissimule en réalité les pires déviances et laideurs. Le 24 septembre prochain, le cinéaste viendra discuter de son œuvre avec son public montréalais.

La particularité du cinéma de John Waters est d’utiliser l’humour et la satire, très souvent jusqu’à leur point de rupture, pour exposer une société américaine malade et hypocrite qui derrière le vernis de ses belles banlieues artificielles n’est pas jolie à voir: drogues, pornographie et adultère dans Polyester (1981), meurtres en série et hystérie dans Serial Mom (1994), racisme dans Hairspray (1988) ou encore puritanisme dans A Dirty Shame (2004). Le 24 septembre prochain, le cinéaste originaire de Baltimore, ville qu’il utilise en toile de fond de ses films, sera à Montréal dans le cadre du festival POP Montréal pour présenter son one-man-show This Filthy World et revenir sur une filmographie aussi délurée que politique. «Je suis tellement heureux d’aller à la rencontre des personnes qui m’ont permis de vivre de mon art!, lance le cinéaste, enthousiaste. Ce sera une version de mon show complètement différente de celle sortie en DVD ou présentée ailleurs. Nouvelle, mais aussi plus rock n’roll!»

Chez John Waters, ce sont les marginaux, freaks et autres weirdos qui sont les sains d’esprit, et le reste du monde qui ne tourne pas rond! Tout particulièrement les représentants de cette Amérique qu’il abhorre: arrogante, lisse, bon chic bon genre, où pullulent ménagères pincées et intolérants névrosés. Pour illustrer ce rejet de la norme et de tous les diktats de bienséance sociale, ses films sont bâtis sur un choc entre deux mondes: les «outsiders» y sont forcés de combattre ceux qui s’autoproclament «normaux», voire fièrement «ordinaires». Dans Cry-Baby (1990) avec Johnny Depp, probablement son film grand public le plus connu, les «coincés» vont à l’École du savoir-vivre et s’en prennent à ceux qu’ils jugent «délinquants»: les tatoués, les gars aux cheveux longs, les jeunes filles enceintes, les moches, les Noirs, les gais. C’est le conservatisme et le désir vicié de conformité que refuse Waters qui trouve chez ses marginaux de véritables alter ego. Ainsi, il n’est pas rare de croiser dans ses films des couples homosexuels, mixtes, et de façon générale, des protagonistes à l’identité – qu’elle soit sexuelle ou sociale – libre et fluide. «Tous mes films partagent les mêmes valeurs. Le politiquement correct, c’est: “Occupe-toi de tes affaires”, “Ne juge pas les autres tant que tu ne connais pas toute l’histoire” et “Exagère ce que les gens appellent tes faiblesses pour en faire ton style et vaincre!”», nous confie-t-il.

Profondément exaspéré «par la stupidité, le sexisme et le racisme» qui gangrènent la société, son cinéma envoie tout valser dans un joyeux festival queer à tendance grotesque, anti-bourgeoisie, anti-Hollywood, ou encore anti-«mauvais cinéma», dixit le personnage-titre de Cecil B. Demented (2000), réalisateur anarchico-extrémiste qui refuse l’avènement des studios américains et des multiplexes aseptisés. Surnommé le «Pape du trash» par l’écrivain William S. Burroughs, John Waters s’avoue amateur des films d’Harmony Korine, de Bruno Dumont ou encore de Gaspard Noé qui regorgent de protagonistes sombres et de mêmes enjeux de représentation des marginaux. «Il est plus difficile de surprendre le public que de le choquer», affirme celui qui déploie, à l’instar des cinéastes cités, un cinéma avant tout politique, et ce, depuis ses premiers courts métrages du début des années 60 (Hag in a Black Leather Jacket, Eat Your MakeupThe Diane Linkletter Story), qui annonçaient déjà un univers déstabilisant et décalé.

Photo : Greg Gorman
Photo : Greg Gorman

Depuis, Waters a souvent utilisé les codes d’un genre particulier pour mieux les transgresser et en faire jaillir le potentiel subversif. Dans A Dirty Shame, son dernier film, il reprend les codes de la comédie américaine de bas étage et l’humour sous la ceinture des teen movies. «Mes films font la satire d’un genre cinématographique particulier: Multiple Maniacs était un film d’horreur; Hairspray, une comédie musicale; Serial Mom, un drame policier; A Dirty Shame, un film de sexploitation», indique-t-il. Enfin, l’une des particularités de l’œuvre de John Waters, qui offre ainsi une belle réplique à l’individualisme prôné par la triste Amérique, est la récurrence d’un groupe d’amis solidaires, qui assument et revendiquent leurs différences avec fierté et provocation. Waters en avait d’ailleurs un vrai à lui tout seul: les Dreamlanders, une troupe fidèle de comédiens et de techniciens qui l’entouraient pour la plupart depuis ses débuts.

Parmi eux, évidemment, il y avait Divine… Impossible de parler de Waters sans évoquer l’iconoclaste Divine, la drag queen déjantée que l’on retrouve dans tous les films les plus trash du début de la carrière de Waters: Mondo Trasho (1968), Multiple Maniacs (1970), Pink Flamingos (1972) ou encore Female Trouble (1974), dans lesquels il est question de viols, d’amputations, de drogues ou de fétichisme. Ils tourneront six films ensemble avant la mort de l’acteur en 1988. Ce décès coïncide avec le virage plus grand public négocié par Waters dès Hairspray (son dernier film avec Divine) et Cry-baby. Même s’il a su garder son venin provocateur et son ton outrancier, sa deuxième partie de carrière s’avère plus accessible et lui permet de se faire connaître hors des circuits underground. Force est d’admettre que c’est à Divine que l’on doit quand même les séquences les plus cultes et folles du cinéma de John Waters, à l’image de cette scène dans Pink Flamingos où, présentée comme «l’être le plus obscène au monde», Divine mange des excréments de chien. Toutefois, bien que l’œuvre de Waters renferme bon nombre de séquences aussi choquantes que jubilatoires, il ne faudrait surtout pas la réduire à un freak show. Car, sous l’avalanche de déviances et de comique sale qui a composé son œuvre, Waters n’a jamais cessé de clamer une chose: la liberté, voire même le devoir de n’être rien d’autre que ce que l’on est. C’est dire si l’on a encore besoin de cinéastes comme lui…

This Filthy World
Le 24 septembre à 20h au Théâtre Rialto, dans le cadre de POP Montréal