Marc-André Grondin : La rumeur du mystère
Discret, Marc-André Grondin multiplie les projets, des films d’auteur indépendants aux séries télévisées grand public en se faufilant à l’ombre des tapis rouges et du glamour.
Pour plusieurs, c’est ce jeune comédien qu’on a découvert en 2005 dans l’objectif de Jean-Marc Vallée alors qu’il tenait le rôle de Zachary Beaulieu dans C.R.A.Z.Y. C’était pourtant, déjà à l’époque, un comédien expérimenté qui avait passé sa vie, depuis sa tendre enfance, sur des plateaux de tournage. Aujourd’hui, une douzaine d’années après cette révélation mémorable, il est toujours là, travailleur patient, sans la grosse tête. Grondin, c’est un gars relax qui garde un regard lucide sur son métier, sur le monde de la production cinématographique et la culture télévisuelle.
Alors qu’il vient de terminer le tournage de Goon II (oui, il y aura une suite à cette comédie sportive!), on le retrouve lors d’une rare pause de tournage pour se prêter au jeu d’une séance photo pour la couverture du magazine. Nous regardons l’écran où défilent les clichés de son visage.
— Comment tu trouves ça? Ça te plaît?
— C’est cool. Mais c’est quand même juste ma face!
Il arrive tout juste du coin de Ham-Nord, près d’Asbestos, où il tourne pour le prochain film de Robin Aubert, Les affamés, qui prendra l’affiche en 2017. Un film de peur où des êtres inhumains mangent des humains. «Ce n’est pas un film de zombies, tient-il à préciser, c’est un film d’auteur avec des zombies. Je pense que les amateurs de films de genre vont être contents, mais ça reste un film d’auteur, on a quelque chose à défendre. Il y a toute cette poésie qui est dans l’œuvre de Robin Aubert qui me fait triper.»
«Ça fait longtemps que je veux travailler avec lui, comme acteur ou réalisateur. Quand je l’ai rencontré, il m’a envoyé un courriel, pour me dire qu’il avait un rôle à m’offrir, qu’il aimerait ça me rencontrer… Et il commence son courriel: “Bonjour, mon nom est Robin Aubert, je suis réalisateur…” J’étais comme, man! Je te connais, là! Et quand je l’ai rencontré, il me disait: “Ouais, je sais que t’aimes pas faire de la promo, si tu ne veux pas faire de la promo pour mon film, je comprends ça, là!” J’ai dit: “Ben non, j’en fais de la promo, c’est simplement que ce n’est pas mon trip, je ne vais pas faire de quiz télé, c’est juste ça.” Ç’a bien cliqué dès le départ.»
C’est un peu la réputation que Grondin s’est taillée dans le milieu, celle du comédien qui fait profil bas, qui ne court pas sous les projecteurs et qui ne fait pas les couvertures de magazines à potins pour raconter sa vie de couple ou son régime alimentaire. Il garde le cap sur son métier sans snober les productions plus populaires, pour autant qu’il puisse y trouver son compte. Il tient d’ailleurs le rôle principal dans L’imposteur, la série phare de TVA cet automne. Une production diffusée sur un réseau grand public qui offre néanmoins un scénario solide, bien ficelé, qui n’a pas grand-chose à envier aux succès du genre qu’on peut voir depuis quelques années sur Netflix ou HBO.
Difficile de parler de cette série sans vendre un punch, car des surprises, il y en a toutes les quinze minutes dans ce scénario. Nous sommes loin du téléroman fleuve et plate. Au moment où vous lirez ces lignes, trois épisodes seront diffusés au gré des cases horaires. Aux côtés de Grondin, il faut mentionner le jeu de Guillaume Cyr qui tient fidèlement la barre dans le rôle de son frère, solide comme un roc. L’action est si intense et l’énigme si imprévisible qu’on se demande même si la télévision demeure le bon véhicule pour de telles productions. Mais qu’avons-nous d’autre pour diffuser du contenu?
«On est une société de variétés et de téléromans. C’est dur casser ça. Là, on n’a pas le choix, car la jeune génération commence à prendre le contrôle, mais c’est difficile de casser ce carcan-là. Je ne pense pas qu’on peut concurrencer Netflix, le choix est trop énorme. C’est comme la Toile du Québec contre Google. Mais je pense que c’est possible de lancer une plateforme avec du contenu canadien. Là, Radio-Canada et TVA sortent deux nouvelles séries à 21h, moi, en tant que gars de 32 ans, je m’en !%&?%* que les deux séries jouent à 21h. Je peux en enregistrer une et regarder l’autre, je peux regarder les deux. Les gens qui sont plus jeunes, c’est eux qu’il faut aller chercher. Une concurrence comme ça, entre les réseaux, est un peu inutile. La solution serait une collaboration entre les différents réseaux pour offrir du contenu québécois, à tout le monde, d’une nouvelle façon.»
C’est que Grondin connaît les forces et les limites de notre terroir télévisuel. Du haut de ses 32 ans, justement, il a vu neiger. Ces dernières années, il a pu prendre part à des séries à l’étranger, notamment dans Spotless, une production française et anglo-saxonne diffusée d’abord sur Canal+ en France et ensuite sur Netflix. Sans qu’on puisse parler d’un succès colossal, l’expérience lui a quand même permis de voir ce qui se fait ailleurs.
«Il y a beaucoup de prises de conscience et de solutions à trouver en télévision au Québec, parce qu’il y a de moins en moins d’argent. On fait des séries avec du monde très talentueux, mais tu n’as pas le temps de ne rien vivre, tu n’as pas le temps… J’ai tourné Spotless qui était 10 fois une heure. Ici, pour l’imposteur, j’ai fait 10 fois 44 minutes. Là-bas, c’était en 117 jours, ici, on l’a fait en 53 jours. Il faut que tu sois bon dans la première prise. Tu fais des compromis tout le temps. C’est tough d’avoir une liberté.»
Mais la contrainte n’est-elle pas, parfois, un gage d’agilité, de débrouillardise et de créativité? Pas toujours. «La contrainte sur un film reste quand même confortable, comparée à la contrainte sur une série. En télé, tu n’as pas de marge de manœuvre, tu as tellement de choses à tourner.» Si on dit parfois que les séries sont les nouveaux lieux de la cinématographie, dans les faits, rien n’est moins sûr. La date de diffusion à la télévision n’attend pas. Lorsque les ententes sont prises avec les diffuseurs, il est presque impossible de reporter la première d’une série sur un grand réseau. Il faut livrer. Le cinéma, lui, peut attendre.
C’est ainsi qu’entre tous ces lieux de création, Marc-André Grondin fonce dans les prochains mois où on pourra voir son nom sur plusieurs affiches: une série grand public à TVA, un film d’auteur indépendant de genre signé par Robin Aubert et une suite pour un film comico-sportif sans autre prétention que de faire rire les foules dans les salles. L’homme aux multiples visages continue toutefois d’entretenir le mystère. S’il n’a pas sa langue dans sa poche lorsqu’on lui parle d’économie culturelle, des chantiers qu’il faudrait entreprendre et des enjeux qui touchent à son métier, il n’est pas pour autant enclin à mettre sa face sur les panneaux-réclames pour la vendre comme on vend des bonbons au rabais. Mystérieux? Vraiment? Pas aussi simple… C’est pour lui un investissement qui lui permet de durer.
«Je suis zéro mystérieux! C’est juste que tu ne me vois pas la face partout, tu ne sais pas de quoi ç’a l’air chez nous, tu ne sais pas avec qui je fourre, avec qui je sors, avec qui je suis ami. Je ne suis pas là sur les tapis rouges à faire: “Ahh! Je l’adore ce film-là!” Je suis discret et, à cause de ça, on a l’impression que je suis mystérieux. Mais je pense qu’au final, c’est peut-être payant sur le long terme. Ça me permet de me fondre dans des personnages. Je reste un acteur, et non une personnalité publique.»