Antitube : Les passeurs
Cinéma

Antitube : Les passeurs

Jason Béliveau et Catherine Pelletier sont, en somme, des transmetteurs de passion professionnels. Deux cinéphiles aguerris qui sortent des films de l’ombre, du chef-d’œuvre récent à la pépite d’or ancienne.

S’éloigner le plus possible de la projection en salle, mais avec une approche accessible au proverbial grand public. Depuis son entrée en poste, c’était il y a presque deux ans, le directeur de la programmation Jason Béliveau s’impose ce créneau axé sur l’ouverture, mais sans verser dans la facilité. «Le but, c’est de faire la diffusion d’événements cinématographiques et de mettre les œuvres en contexte, offrir une plus-value. [Ça se traduit par] des présentations, des rencontres avec des cinéastes, des tables rondes pour, par exemple, inscrire les films dans une perspective historique.»

Sa collègue Catherine Pelletier, chargée de projets, et lui-même travaillent comme dans n’importe quelle cinémathèque, à la différence qu’ils n’ont pas pignon sur rue. Et en l’absence d’un cinéma digne de ce nom dans La Cité-Limoilou, ou d’un temple antitubesque, les deux uniques employés du centre investissent moult lieux: l’auditorium Roland-Arpin du Musée de la civilisation, la Maison de la littérature, la Salle Multi de Méduse, le café-bar Maelstrøm…

Catherine (Crédit: Elias Djemil)
Catherine Pelletier (Crédit: Elias Djemil)

Récemment, c’était au printemps dernier, les diffuseurs ont tâché de mettre la somptueuse Salle des promotions du Séminaire de Québec à la disposition du lanterniste américain Terry Bolton, l’une des dernières personnes au monde qui pratiquent encore ce métier de l’ère victorienne. Le genre de curiosités qu’Antitube collectionne depuis plus de 20 ans, un moment qui restera gravé dans les annales de l’organisme. «[Cette pratique consiste à] projeter des images peintes sur du verre et la lumière est générée par du gaz. C’est extrêmement ancien comme technologie. […] M. Bolton était accompagné de sa femme, une chanteuse, et d’une pianiste pour nous offrir un spectacle typique du 19e siècle qui a duré une heure et demie. Il y a eu 250 personnes. Ç’a été l’une de nos plus belles projections, l’une de nos plus courues aussi.»

Comme ils reçoivent des subventions, Béliveau et Pelletier mettent aussi, et dès que possible, l’accent sur le contenu québécois et canadien indépendant. Des bourses gouvernementales qui, accessoirement et par la bande, permettent au duo de verser un cachet aux cinéastes et d’engager des artistes visuels pour la création de leurs fameuses affiches – des objets de collection en soi.

Jason Béliveau (Crédit: Emmanuelle Durel)
Jason Béliveau (Crédit: Emmanuelle Durel)

Un peu d’histoire

Né en 1995, et à l’initiative d’un type répondant au nom de Jocelyn Drolet, Antitube a d’abord logé dans le tristement mythique Mail Saint-Roch. Quinze administrateurs de tous les horizons, de l’universitaire au simple aficionado, ont alors uni leurs forces pour jeter les bases de ce projet qui perdure.

La première projection a lieu un an plus tard, un programme autour de l’œuvre de Gilles Groulx, de celle de Patrick Straram, du cinéma engagé de la Révolution tranquille finalement. Fabrice Montal, cofondateur et directeur artistique de 1996 à 2009, se souvient des fastes débuts, de l’effervescence d’alors. «C’était une période où il y avait énormément de construction d’édifices culturels à Québec. Méduse a été inauguré en 1995, La Caserne de Robert Lepage l’a été deux ans plus tard, idem pour le Théâtre de La Bordée, et le Périscope venait d’être rénové. […] Sans rien vouloir enlever à Labeaume, on avait un maire, Jean-Paul L’Allier, très ouvert, qui comprenait l’importance de l’art pour l’économie. Dans les faits, il a eu raison puisqu’il a rénové un quartier en entier [Saint-Roch].»

Dès lors, leur mission riche, éclectique et inchangée (jusqu’ici) se définit. «On présentait des œuvres très, très expérimentales et des grands classiques. On donnait autant dans l’art vidéo que dans [la projection de films de] Alfred Hitchcock, des classiques français, etc. Cet écart-là a toujours existé pour nous.»

S’ancrer dans le bitume

Antitube cultive ses amitiés. Depuis la fin des années 1990, le diffuseur collabore avec le MCQ sur une base régulière. Ce mois-ci, on y présente un cycle élaboré en parallèle avec l’exposition 25 X la révolte, trois documentaires qui traitent d’enjeux sociaux variés: identité culturelle (L’Acadie, L’Acadie?!?), droits des homosexuels (The Times of Harvey Milk) et politique étrangère vintage (La bataille d’Alger).

Courtoisie Antitube
Courtoisie Antitube

Ian Gailer du FCVQ leur tend aussi la main, les invite à bonifier sa programmation de leur curiosité notoire. L’événement, en pleine croissance, leur offre une carte blanche, leur demande de préparer des quiz d’avant projection, d’animer des tables rondes. Actuellement, et selon Jason Béliveau, Québec vit un genre d’âge d’or au rayon cinoche. «Il y a une belle synergie dans le milieu, entre les groupes, les centres [de diffusion]. Tous les intervenants se parlent, ça va bien pour le FCVQ et il y a des longs métrages qui sont produits ici avec des cinéastes locaux.»

Orphelins d’une salle, d’un vrai cinéma au centre-ville, les gens de chez Antitube, Spira, Kinomada, La vie est belle et du FCVQ rêvent d’un pied-à-terre partagé et emblématique de leur scène. Un projet qui est actuellement sur la table à dessin. Un dossier à suivre.

Debout! Engagement et résilience au cinéma
Du 16 au 24 novembre
Au Musée de la civilisation