Lettres au premier ministre: Et si on faisait des muffins avec nos voisins ?
Cinéma

Lettres au premier ministre: Et si on faisait des muffins avec nos voisins ?

Qu’est-ce que vous pensez de Parc-Extension? Est-ce que vous traverseriez l’Amérique d’un bout à l’autre pour vous y installer? Non? Peut-être que le film Lettres au premier ministre vous fera changer d’idée. Le court métrage créé grâce à la résidence Regard sur Montréal présente un portait magnifique du quartier teinté d’une réflexion profonde sur la rencontre, l’autre et la différence. 

En entrevue au café coop La place commune, en plein cœur de Parc-Ex, le réalisateur argentin Andrés Livov-Macklin savoure une tasse de thé fumante. Relax, il salue tous les clients qui entrent. «Hi John!» «Salut Tom!» «Ah, regarde, c’est le petit Lucas». On se serre la main, on jase, on s’envoie de grands sourires entre deux plaisanteries. Il neige à gros flocons dehors, mais ici il y a un poêle invisible qui chauffe la place.

En novembre 2015, Justin Trudeau est élu. C’est une nouvelle sans précédent: un premier ministre député de Parc-Extension! On aimait déjà le père, maintenant on adore le fils. Il y a un enthousiasme, un espoir qui fait rêver les résidents du coin. Pourquoi pas en faire un film?

C’est ça l’idée à la base de Lettres au premier ministre, court métrage documentaire présenté en salle dans le cadre des Rendez-vous du cinéma québécois. Dans le petit café du coin, monsieur madame Tout-le-monde, l’Hindou, le Salvadorien et le sikh écrivent à leur PM en compagnie de la poétesse Marie-Célie Agnant, qui rédige. On souhaite des parcs, une bibliothèque, un bureau de poste, la légalisation de la marijuana, moins de pauvreté, etc.

Pas de cris, d’insultes, de vociférations. C’est un autre lexique. Celui de l’espoir.

Au fil des lettres, on découvre des visages du monde entier, une minute pour une lettre, un éclair, la présence évanescente d’une existence avec son lot d’espérance.

Un portrait poétique

«Parc-Ex, c’est tough, raconte le réalisateur. C’est sûr que c’est un quartier difficile. Parfois y’a des gens qui crient en plein milieu de la nuit» et puis «il n’y a presque pas de parcs ni d’arbres». Il y a un paquet de cultures qui se rassemblent ici et qui cherchent à faire un monde. Impossible que ça ne grince pas.

Ça grince oui, mais ça rit aussi. Avec Lettres au premier ministre, on découvre un Parc-Ex moins dramatique, sans gyrophare ni scandale. Livov-Macklin explique que l’idée de la lettre est un prétexte, «un outil pour écouter qui est derrière la lettre», un moyen de passer «d’un regard extérieur à un regard intérieur».

«Les gens ont souvent peur, mais pourquoi ont-ils peur? Ça a été implanté dans leur tête?» Pour Livov-Macklin, Parc-Ex n’est pas ce qu’on voit dans les médias. Dans son petit café chaleureux, dans son regard clair et ses grands saluts amicaux, on découvre un quartier à hauteur d’homme, un quartier qui vous ferait peut-être faire la route à partir de Buenos Aires.

Ouvrir le mur

Au fond, Lettres au premier ministre aborde de front un malaise central de la culture occidentale. Claquemurés devant les ordinateurs et les écrans de télévisions, nous perdons le contact direct avec la réalité qui nous entoure. Notre vision du monde est non seulement médiatisée mur à mur par les médias, mais nous perdons aussi le sens du lien humain, concret, immédiat.

C’est ce qu’explique Andrés: «On est tous dans le même bateau, tu sais? Moi, au début, j’étais seul dans mon bateau, ça me rendait malade. Maintenant, c’est ici mon bateau». Son bateau, il l’a trouvé dans son café coop, entouré de ses clients et de ses amis, le meilleur des équipages s’il en est.

Andrés Livov envoie certainement un message au PM. Le réalisateur dessine le portrait d’un quartier qui dépasse ses édifices et ses boulevards, qui est peuplé d’hommes et de femmes avec des vies, des destins et des rêves. Mais sa lettre s’adresse aussi à tout un chacun, c’est un appel à l’ouverture, à la communication, un grand coup de vent qui fouette notre individualisme et notre fuite sociale.

Livov-Macklin me pose la question, sourire en coin: «Connais-tu tes voisins? Va cogner à leur porte. Apporte-leur des muffins, faites connaissance» parce qu’au fond «on est tous dans le même bateau»!

Le film est le résultat de la Résidence Regard sur Montréal offerte par le Conseil des arts de Montréal, la SODEC et l’ONF et sera présenté au RVCQ le lundi 27 février: rvcq.quebeccinema.ca/films/lettres-au-premier-ministre