Portrait de Regard: Alexandre Dostie et la beauté du joual
Cinéma

Portrait de Regard: Alexandre Dostie et la beauté du joual

Mutants, premier court métrage de fiction de l’artiste touche-à-tout Alexandre Dostie, a eu une sacrée belle trajectoire depuis sa sortie en festivals l’automne dernier et était présenté à Regard ce week-end. Entretien avec le réalisateur. 

Actif autant en distribution de films pour la boîte Travelling qu’en littérature au sein de l’organisation du OFF-Festival de la Poésie de Trois-Rivières ainsi qu’en improvisation et en musique avec son band punk FullBlood, Alexandre Dostie a sorti l’an dernier son premier court métrage de fiction, Mutants. Le film était projeté en septembre au Festival international du film de Toronto où il allait remporter le prix du meilleur court métrage canadien. Et ce n’était que le début des accolades pour cette histoire d’éveil amoureux et sexuel sur fond de baseball et de joual.

«Je peux pas m’empêcher de toucher à tout, dit-il de ses nombreux projets. Quand j’ai découvert la poésie, j’étais de retour à Trois-Rivières après trois ans à Montréal. J’avais un ami qui organisait le OFF-Festival de poésie et je me suis joint à ça et j’ai découvert plein d’auteurs qui avaient mon âge. Ils avaient quelque chose à dire et ça venait me chercher. Je me suis dit: «crime, moi aussi peut-être que j’aurais quelque chose à dire à ma manière. Je suis curieux des gens et de ce qu’ils font et je me laisse inspirer par eux. Le cinéma c’est la même chose.»

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Si la poésie de son recueil Shenley est très orale, les personnages de Mutants parlent aussi un joual bien senti. Pour le tournage de son court métrage, il fallait impérativement revenir à la source pour bien livrer la langue désirée. «J’ai grandi en Beauce et j’ai été entouré de personnages. Mon père a eu un garage et j’ai été pompiste longtemps. Au début, c’est ton cercle, ta famille, tes amis aux caractères forts qui sortent des lignes de feu – une poésie de mongol! -, sans le savoir. Y’a rien de forcé là-dedans. Je pense que j’ai donc été rapidement sensible à la force des mots, à la force de présence. Je sais pas si c’est parce que c’est là que j’ai connu mon éveil, mais je voyais des personnages partout en Beauce. Pour Mutants, y’était pas question qu’on aille tourner ça à Marieville – où ç’a l’air d’être la campagne – avec des acteurs professionnels de Montréal. On devait aller en Beauce et engager des kids qui n’avaient jamais fait de films, des vrais petits beaucerons.»

Les Mutants, ce sont les joueurs d’une ligue de baseball de jeunes d’un village. Après avoir reçu une balle en plein visage, le lanceur Keven à l’oeil au beurre noir découvre l’amour avec une coéquipière et le sexe en étant témoin des pulsions de son coach paraplégique. Le scénario d’Alexandre Dostie trouve le juste milieu entre le comique et le tragique. Le cinéaste et poète était toutefois craintif de ne pas être à la hauteur. «Ma plus grande phobie, c’était de faire le film. J’avais peur de ne pas être à ma place, de ne pas savoir dealer avec toutes les décisions à prendre et transmettre la vision à tout le monde. Y’a eu des bouts difficiles, mais je suis sorti de là et j’étais tellement bien. Le chef électro est venu me voir un jour et m’a dit: «je reviens d’un gros tournage américain. J’avais aucunement le goût de venir ici et dormir cinq jours dans un bunkbed dans le bois en Beauce et c’est ma plus belle expérience de tournage à vie». On a eu des prix et tout avec Mutants, mais ça c’est ma vraie paye.»

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Sous forme cinématographique, jumelée à une direction artistique forte, tout porte à croire que la langue d’Alexandre Dostie se transmet bien puisque les plus gros prix que le film a remporté viennent du Canada anglais (TIFF, Whistler, Canadian Screen Awards). «Mon rapport au langage, je l’explique ainsi: autant je suis habité par ce joual-là parce que je l’aime et que c’est ma langue; autant je suis sensible à un type d’énergie que je comprends, que je sens. Un de mes artistes préférés est Kazuki Tomokawa, un vieux japonais qui fait de l’acid folk – c’est un démon ce gars!. Je comprends rien de ce qu’il dit, mais je suis sensible à son énergie, je la comprends. Si je peux amener un peu de ça à mes films, j’aimerais incorporer ça à mon langage aussi.»

Shenley et Mutants sont nés d’un même amour pour le joual, mais y a-t-il un risque d’évoluer dans une même direction par crainte de se faire étiqueter? «Mon défi en tant que créateur, je le vois moins autour de la langue – parce que c’est la mienne – qu’autour des thématiques. On pourrait se demander: «Alex Dostie, ses univers c’est-tu juste des gars de trucks?» Quand je réfléchis à ce qui m’inspire et d’où ça vient, non, y’a pas juste des trucks et des kids qui jouent au baseball. Y’a des waitress, des mères, des vieux, des gars, des filles. Mon évolution, c’est pas nécessairement avec ou sans le joual, mais plutôt comment cette langue-là évolue avec d’autres personnes qui la parlent, dans d’autres contextes avec d’autres enjeux.»

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Des textes d’Alexandre Dostie seront interprétés dans la pièce Nuits frauduleuses ce printemps à Montréal. theatredaujourdhui.qc.ca/nuitsfrauduleuses

Pour trouver Shenley, c’est par ici: lecrou.com

Pour en savoir plus sur Travelling, c’est ici: travellingdistribution.com

Pour écouter les groupes d’Alexandre Dostie:

fullblood.bandcamp.com // duocamaro.bandcamp.com