C’est le cœur qui meurt en dernier : La gloire de ma mère
Adaptation sensible du roman éponyme de Robert Lalonde, C’est le cœur qui meurt en dernier marque le retour au cinéma d’une certaine Denise Filiatrault. Fils à l’écran et scénariste à la ville, Gabriel Sabourin relate cette aventure unique.
Qu’il écrive du théâtre (Le prince des jouisseurs, inspiré de l’univers de Feydeau) ou qu’il s’attaque à des scénarios (Amsterdam, écrit à six mains, et surtout Miraculum, «film choral plus ambitieux», signé Podz), le comédien Gabriel Sabourin a toujours eu envie de raconter des histoires. «Le jeu et l’écriture sont étroitement liés pour moi, sans doute à cause de mon père [Marcel Sabourin], un vrai touche-à-tout qui m’a transmis sa fascination. Plus je joue, plus j’ai envie d’écrire. Et vice-versa. C’est curieux parce que, l’an dernier, j’ai participé à l’Atelier Grand Nord, de la SODEC, et j’y ai revu l’auteur François Archambault, qui avait étudié en même temps que moi à l’École nationale, mais en dramaturgie. Il n’était pas surpris et m’a rappelé que j’étais le seul acteur qui s’invitait dans leur local d’écriture, à l’époque! Je ne m’en souvenais pas», rigole-t-il.
Le souvenir est justement la matière première de son troisième scénario, qui convoque la figure haute en couleur de la mère du romancier Robert Lalonde. C’est le réalisateur Alexis Durand-Brault (La petite reine), avec qui les deux hommes collaborent sur Au secours de Béatrice, qui a mis le livre de l’un entre les mains de l’autre, en vue d’une éventuelle adaptation. «À la première lecture, je me demandais comment j’allais y arriver, tellement c’est sensoriel, impressionniste. Ça saute d’une époque à l’autre, sur toute une vie. Et l’alter ego de Robert, dans le récit, nous partage surtout son point de vue sur sa mère.» Comme il a beaucoup de respect pour Lalonde, Sabourin s’est assuré d’obtenir son assentiment, pour ajouter du sien à cette matière autobiographique. «Il m’a rappelé à juste titre que toute écriture est déjà un geste d’interprétation, et que même sa mère, une fois couchée sur papier, n’est plus tout à fait sa mère.»
C’est là qu’entre en scène Julien, un écrivain débutant imaginé et personnifié par Sabourin. «Les secrets de famille, ça vous gruge de l’intérieur, et le geste de l’écriture, pour mon personnage, en est un de réconciliation, qui l’aide à cicatriser les blessures du passé.» Le premier roman de Julien s’appelle aussi C’est le cœur qui meurt en dernier et lui vaut une belle reconnaissance publique. «J’aimais l’idée que la mère (Denise Filiatrault) ignore tout du talent d’auteur de son fils, même s’il raconte leur vie, d’autant plus qu’elle ne sait pas vraiment lire.» Leur relation est d’ailleurs plus évolutive au grand écran, pour les besoins de l’intrigue. «La notion d’oubli, avec la mère qui perd tranquillement la carte, m’interpellait particulièrement, avec en toile de fond la question de mourir dans la dignité.»
Entre les visites à la villa pour personnes âgées et les souvenirs magnifiés d’une enfance évanouie (où la mère prend alors les traits de Sophie Lorain, tel un effet miroir!), le film traduit avec soin l’essence même du livre, universelle: une mère, au plus fort de l’enfance et de la vie, c’est souvent le centre du monde, de son monde. La musique est aussi bien présente, Harry Belafonte en tête, non seulement pour insuffler une part de lumière à l’univers plus glauque des CHSLD, mais aussi pour déclencher en douceur les mécanismes de la mémoire et faire rejaillir les souvenirs, ici condensés dans le cocon familial et sa cuisine. «C’est l’endroit où sa mère lui faisait des spectacles pour lui seul, un peu comme dans Encore une fois, si vous permettez, de Michel Tremblay.»
«Mon désir secret, c’est que tout le monde pense à sa mère en voyant le film», d’avouer Sabourin. Et qui de mieux que Filiatrault pour incarner la fibre maternelle, elle qui lui a donné sa première chance dans le métier. «Ce fut ma première metteure en scène. C’était formidable de me retrouver avec elle sur le plateau. Denise est comme ma maman de théâtre. J’ai toujours aimé jouer avec des acteurs d’expérience, parce qu’il n’y a aucun rapport hiérarchique; ils s’amusent comme des enfants et partagent les mêmes objectifs.» Outre un caméo dans Laurence Anyways, de Xavier Dolan, Filiatrault n’avait pas tenu le haut de l’affiche depuis Blue, la magnifique, de Pierre Mignot, en 1990! «C’était l’idée d’Alexis. C’est la première fois que j’écrivais avec quelqu’un en tête. Heureusement, elle a embarqué. À un point tel qu’Alexis devait lui dire d’être moins énergique, comme elle est plus vieille que son personnage!» On n’a pas de mal à y croire en découvrant cette mère attachante qui les contient presque toutes, en un cœur qui bat et de grands émois.
C’est le cœur qui meurt en dernier
En salle le 14 avril