Le son au cinéma
La qualité du son est d’une importance capitale au cinéma. Ses artisans, travaillant souvent dans l’ombre, s’exercent à tisser une toile réaliste pour notre oreille, de façon à ce que l’environnement sonore ne vienne pas briser l’expérience cinématographique. Des dialogues aux bruits de fond en passant par les effets spéciaux, le travail audio au cinéma est complexe et vital. Un aperçu de cet art trop peu couramment mis en lumière.
Bien que l’on puisse rapidement attribuer tout le mérite de la réussite d’un film aux acteurs livrant des performances fortes ou aux images époustouflantes capturées par la caméra et créées ou modifiées par les artistes d’effets spéciaux, ce qui nous captive et nous tient en haleine d’un bout à l’autre d’un long métrage ratisse en fait beaucoup plus large que ce qui nous vient en tête au premier coup d’œil. L’essentiel, pour toute production, qu’elle soit hollywoodienne ou indépendante, est d’atteindre un niveau d’immersion au seuil duquel le public oublie qu’il est assis devant un écran. C’est là qu’entre en scène un des éléments cinématiques structurels les plus méconnus et ignorés du cinéphile moyen, en dépit qu’il soit absolument fondamental à la création narrative: la bande audio.
Quoique le processus qui le construit soit artistique et, en certaines occasions, très imaginatif, le design sonore se veut un élément porteur du propos du film et de la vision du réalisateur sans toutefois prendre une place prépondérante. Bref, un art tout en subtilités. La majeure partie du temps, le but premier du concepteur sonore est surtout de recréer des ambiances naturelles autour des images tournées, de plonger auditivement le public dans les lieux qu’il voit à l’écran sans qu’il y ait le moindre décalage entre la vue et l’ouïe. C’est donc un travail qui demande une grande attention aux détails et où les plus petits ajustements peuvent avoir un effet monstre. Travaillant, dans le meilleur des mondes, main dans la main avec le réalisateur dès la préproduction, ces artisans de l’audible ont une mission ingrate: ils doivent s’assurer que leur boulot est sans faille, c’est-à-dire qu’on ne le remarque pratiquement pas.
Construire des univers
Sylvain Bellemare, concepteur et superviseur sonore lauréat d’un Oscar pour son travail sur Arrival, définit ce qu’est, pour lui, son travail: «Selon moi, le son, c’est avant tout un rapport très émotionnel. Dans un film, à l’audio, tu peux avoir un lien extrêmement narratif qui va suivre le personnage, les sensations et les émotions. On tombe vraiment à ce niveau dans le camp de la scénarisation. Il y a peu de cas comme ça, en général, mais moi, j’ai la chance d’avoir travaillé quelques fois de cette façon-là. Ce qu’on attend d’un sound designer, dans la majorité des cas, c’est de recréer le naturel. C’est un art qui tient du naturalisme, carrément. Mais même si d’un côté, c’est plutôt de l’ordre de la narration, de la métaphore ou de l’onirisme, c’est-à-dire un son qui a un parti pris, quand on tombe dans le naturalisme, il y a tout de même une part d’émotion importante! Si on voit à l’écran deux amoureux qui se câlinent dans un champ, l’environnement sonore autour doit absolument nous imprégner de ce bonheur d’être assis dans un pré avec l’être aimé. Ce n’est jamais que purement technique, ce qu’on fait.»
Le son réfère donc à des émotions physiques, sensorielles et très vraies, dans tous les cas. Toutefois, sur Arrival, son équipe et lui (Bellemare insiste très fort sur le fait que cet Oscar a été gagné grâce au travail de tous ceux qui ont collaboré avec lui au matériel sonore) ont eu la chance d’explorer des avenues narratives très originales. «La science-fiction, c’est un peu comme le nec plus ultra du sound designer, tu sais! T’as un univers complet à inventer, fait de sons qui n’existent pas encore! En plus, Arrival, ce n’est vraiment pas un film d’action ou de guerre… C’était un peu le monde idéal! J’ai eu le plaisir d’avoir de nombreux collaborateurs au talent fou là-dessus. Spécifiquement, on a eu bien du plaisir à créer les “voix” des extraterrestres. C’est toujours un plaisir de travailler avec Denis [Villeneuve], parce qu’il se fout un peu des conventions hollywoodiennes. Il nous a laissés expérimenter et sortir des sentiers battus tout autant qu’on le désirait, et on a vraiment pu créer quelque chose d’unique qui tombe, comme je le disais plus tôt, dans le domaine de la métaphore et de l’onirisme.»
C’était donc, pour lui et tous les autres artisans qui l’entouraient, un défi de taille, mais extrêmement satisfaisant sur le plan professionnel. Même si l’équipe avait devant elle une création sonore particulièrement intéressante à réaliser, la contrainte majeure du métier demeurait tout aussi présente que dans un film plus réaliste: «Denis est quelqu’un qui aime beaucoup le son, mais il désirait [pour Arrival] qu’il soit à la fois tout en sobriété et très présent. On savait que le son devait réellement prendre sa place comme élément cinématographique, mais il fallait toujours faire attention à ce qu’il demeure sobre pour ne pas sortir le spectateur de l’image. C’est ça, la réalité d’un designer sonore!»
Un travail toujours changeant
La coopérative Bande à Part, située dans Saint-Henri et fondée en 1999 (mais seulement devenue une coop en 2013), se spécialise dans la conception sonore et la postproduction audio pour l’industrie cinématographique québécoise, autant en fiction qu’en documentaire. Marie-Pierre Grenier, conceptrice sonore au sein de la boîte, explique que son métier en est un d’adaptation: «Tu sais, c’est difficile d’expliquer précisément ce qu’on fait, parce que ça change de projet en projet. Dans un monde idéal, la personne à la conception sonore est incluse au moment de l’écriture du scénario. À ce moment-là, on peut discuter avec les scénaristes et le réalisateur, donner des cues, faire un suivi par rapport au tournage avec le preneur de son et tout… Au niveau du son, on peut raconter beaucoup de choses. Mais les réalisateurs n’ont pas toujours ce réflexe de nous inclure au début, alors que beaucoup de pistes de lecture peuvent passer par l’audio. Alors souvent, on doit embarquer à différents moments dans les projets et s’adapter. Mais on est rendu pas pire là-dedans!»
Son collègue Patrice Leblanc reprend la balle: «Il faut que le son soit considéré comme à la base. Souvent, aujourd’hui, en documentaire, dès que l’on a à couper quelque part, on coupe tout de suite le preneur de son. C’est pas un reproche pour personne, parce qu’on est très conscients qu’il y a des limites de budget et tout, mais souvent, ça se sent dans la qualité d’une production, et ça rend notre travail un peu plus tough, disons!» Marie-Pierre complète: «En documentaire, si l’image est so-so, on va facilement l’excuser. On comprend l’urgence de tourner, de capturer le moment sur le vif. Mais si ton son est mal fait, que t’entends pas les dialogues et tout, l’auditeur est complètement déconnecté de ce qui se passe. L’effet d’immersion est extrêmement facile à briser.»
Le message est donc clair. Bien qu’on ne le remarque que trop peu, l’art de bien faire sonner un film revêt une importance capitale. Simon Gervais, également concepteur sonore à la coopérative Bande à Part, conclut ainsi notre entretien: «Si ton son n’est pas bon, ça met immédiatement une barrière entre ce que tu veux dire, comme réalisateur, et l’expérience du spectateur. Que ce soit l’image, le jeu des comédiens ou le son, tout se vaut au final. Si les éléments ne sont pas réfléchis et bien amenés dès le départ, ça va nuire à l’expérience.»