Gala Québec Cinéma: En juin contre toute attente
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Gala Québec Cinéma: En juin contre toute attente

4 juin. C’est la date qu’a finalement fixée Québec Cinéma pour son gala télédiffusé. La remise de prix renaît cette année dans de nouveaux oripeaux après l’affaire Jutra qui a écorché son ancien nom, avec un nouveau trophée baptisé Iris. Mais tout le monde n’est pas satisfait de cette renaissance. Récit d’une saga qui fait du bruit.

Le tapis rouge va bel et bien étendre sa belle robe écarlate devant la Maison de Radio-Canada le dimanche 4 juin, accueillant les pas des cinéastes et de leurs équipes en costumes cravatés. Il n’y aura probablement pas beaucoup de mentions de l’ancienne Soirée des Jutra au micro ce soir-là: l’organisme Québec Cinéma veut faire table rase et placer la soirée sous le signe du renouveau, qu’on puisse lancer une nouvelle ère de célébrations autour du tout nouveau trophée Iris et enterrer le nom écorché de Claude Jutra.

Un peu de recul

Un peu plus d’un an après la biographie qui a révélé de possibles agressions sexuelles sur des mineurs par le défunt cinéaste, il faut bien prendre un peu de recul et réfléchir à tête reposée sur les événements précipités de février 2016. Ségolène Roederer, la directrice générale de Québec Cinéma qui a dû retirer le nom de Jutra en toute hâte à quelques semaines du gala 2016, affirme qu’elle n’agirait pas autrement aujourd’hui.

«J’aurais souhaité mille fois que nous n’ayons pas à vivre ça, dit-elle. Et encore aujourd’hui, je regrette que l’énervement politique et médiatique ne nous ait pas permis de prendre le temps de réfléchir profondément à la signification de cet événement, en ce qui a trait à la mémoire d’un grand artiste dont l’oeuvre demeure et doit continuer d’être vue, mais aussi en ce qui concerne les outils collectifs dont nous disposons ou ne disposons pas pour accompagner les victimes de pédophilie. Nous avons probablement manqué de nuances, collectivement, dans le traitement de cet épineux dossier. En ce qui concerne notre gala, qui portait le nom de Jutra en tant que symbole rassembleur de notre cinéma, il est clair que nous n’avions pas d’autre choix que de procéder au changement. Bien sûr, certains artistes qui étaient proches de Jutra vont continuer d’entretenir de la colère par rapport à cette décision. D’autres, toutefois, n’auraient pas supporté de gagner au cours des prochaines années un trophée nommé Jutra. C’est une affaire extrêmement complexe; il n’y avait pas de bonne manière de plaire à tous.»

La directrice générale de Québec Cinéma Ségolène Roederer / photo Marc-André Lapierre
La directrice générale de Québec Cinéma Ségolène Roederer / photo Marc-André Lapierre

Ségolène Roederer déplore toutefois que la réflexion de Québec Cinéma à ce sujet ait été rapidement balayée par les médias. «Pour nous aider à réfléchir à tout ça, nous avons engagé un comité de sages qui comprenait un cinéaste, un éthicien, un psychiatre et un juge. Je trouve que leur rapport n’a pas obtenu l’attention médiatique qu’il méritait.»

Le début d’un temps nouveau

Si Xavier Dolan gagne, par exemple, le Prix du meilleur film au gala du 4 juin, il brandira fièrement un trophée Iris. L’oeuvre du sculpteur Marc-Antoine Côté, «une véritable oeuvre d’art qui nous rendra fiers», selon Québec Cinéma, a été ainsi baptisée après un long processus de consultation. «Bizarrement, raconte Ségolène Roederer, ça s’est avéré un exercice très complexe. Je ne m’attendais pas à une telle aventure, qui a été très intéressante. On a consulté des gens du cinéma, des professionnels issus du monde de la pub, des littéraires, et finalement le grand public, qui a tranché entre nos deux finalistes, Iris et Lumi.»

Le nom, qui évoque évidemment la multiplicité des regards posés sur le monde par les cinéastes et rappelle aussi la lentille de la caméra, a rapidement fait consensus. De même que ce joli trophée qui brillera de tous ses feux sous les projecteurs du studio 42 de Radio-Canada. Personne ne va non plus déplorer la création de six nouveaux prix pour les artisans, laquelle donnera lieu cette année à un deuxième gala télédiffusé, consacré à de nombreux prix habituellement remis hors d’ondes, et animé par Léane Labrèche-Dor et Pierre-Luc Funk. Jusque là, tout va bien.

Embrouilles de calendrier

4 juin: une date ensoleillée qui fera de belles photos pré-gala. Mais cette date plutôt inhabituelle dans le calendrier des célébrations mondiales du cinéma ne fait vraiment pas l’affaire de tout le monde. L’aguerri Louis Dussault, président-directeur général de K-Films Amérique, ne décolère pas. «C’est une date ignoble pour la télédiffusion, un moment de vide télévisuel pendant lequel toutes les chaînes ont des cotes d’écoute minables. Le gala est un exercice de promotion du cinéma québécois qui doit bénéficier d’une meilleure plage horaire pour arriver à se faire valoir. Pour vous dire la vérité, j’ai l’impression que ce changement de date [ndlr: la gala a été présenté pendant 18 ans en février ou en mars] a surtout été imposé par Radio-Canada, qui tasse le gala dans une voie de garage en attendant, peut-être, de le débrancher complètement au cours des prochaines années. Les cotes d’écoute vont nécessairement être basses en juin et, en brandissant ces chiffres, la Société d’État pourra justifier son éventuel abandon du gala. Si cela se produisait, ce serait une catastrophe. Je ne veux pas être un prophète de malheur, je souhaite comme tout le monde que tout se passe bien, mais on est en droit de s’inquiéter.»

Xavier Dolan fait partie des 108 signataires de la lettre intitulée "Le cinéma québécois mérite mieux"
Xavier Dolan fait partie des 108 signataires de la lettre intitulée « Le cinéma québécois mérite mieux »

Les craintes de Louis Dussault font écho à celles d’un groupe de 108 signataires d’une lettre ouverte parue en octobre et initiée par les critiques Nicolas Gendron et Helen Faradji. En plus de s’étonner d’une date télévisuellement peu propice au succès d’audimat, cette lettre soulignait l’absurdité d’un gala en juin qui devra célébrer cette année des films sortis sur différents écrans au cours d’une période de 15 mois (plutôt que 12) et qui adopterait vraisemblablement dans le futur un étrange calendrier en récompensant des films lancés de mars à mars. Voilà qui est à contre-courant des pratiques des autres manifestations du même genre ailleurs dans le monde.

Les cinéastes s’inquiètent d’ailleurs de voir leurs films célébrés et récompensés juste avant l’été, période peu fertile pour le cinéma québécois: le gala ne risque ainsi aucunement de mousser la diffusion en salle de certains films d’ici, ni d’ailleurs la VSD (certains films devant disparaître de ce circuit de diffusion en ligne après quelques mois, au moment où des ententes commencent à les lier avec des télédiffuseurs comme Super Écran). Sans compter qu’au début de l’été, tous les yeux sont tournés vers les films adoubés par les critiques au Festival de Cannes, y compris, souvent, des longs métrages québécois qui attirent ainsi sur eux toute l’attention du public local.

Le nouveau trophée
Le nouveau trophée, photo Normand Robert

Le calme après la tempête?

Certes, depuis l’automne, la poussière est un peu retombée. «J’ai l’impression que la grogne s’estompe vraiment», nous dit Ségolène Roederer, qui a réagi promptement à la lettre par une réponse optimiste demandant au milieu sa collaboration. Quelques cinéastes et comédiens en nomination au gala de cette année nous ont d’ailleurs dit, sans vouloir être cités précisément ici, qu’à l’approche de cette nouvelle incarnation du gala, «il ne reste plus qu’à laisser la chance au coureur et à espérer pour le mieux». Il y a fort à parier que cette opinion modérée est fortement répandue, même si de nombreux questionnements demeurent en suspens. Dans une récente infolettre de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec, son président Gabriel Pelletier s’en faisait l’écho. «Je ne saurais dire si ce changement de date est la meilleure stratégie, écrit-il. On peut s’en désoler, ou on peut se retrousser les manches et offrir au public québécois un gala du cinéma digne de ce nom. Mes manches sont déjà relevées.» 

«L’ancienne date, en mars, n’était pas du tout idéale, tient à souligner Ségolène Roederer. C’était un moment surchargé dans le calendrier télévisuel et le gala était confronté à une compétition féroce avec des émissions très populaires sur les chaînes adverses. Il était difficile de bien se faire entendre dans ce contexte. En juin, on est dans une autre séquence télévisuelle, dans une autre saison, et je fais le pari que ça nous servira!»

De grands oubliés?

Puisqu’une controverse ne vient jamais seule, la longue liste de films admissibles au gala transitionnel de cette année semble avoir empêché certains films méritants de trouver leur place au soleil. Ainsi Podz et Alexandre Goyette ne sont pas nommés dans les catégories de meilleure réalisation et meilleur scénario pour leur film King Dave, une «déception» qu’ils n’ont pas manqué de souligner. Goyette, en particulier, lançait en avril sur Facebook un cri du coeur senti. «Je suis vraiment triste que le travail de Podz, que celui de Jérôme Sabourin à la direction photo et que la direction artistique d’André Guimond ne soient pas reconnus. Ça me fait beaucoup de peine pour tout ceux qui ont participé à ce projet inoubliable, audacieux et, je me risque, nécessaire, ne serait-ce que par son originalité.»

Alexandre Goyette dans King Dave
Alexandre Goyette dans King Dave

D’autres ont souligné l’absence de 1:54, de Yan England, dans les catégories principales, ou celle de Pays, de Chloé Robichaud. Un calendrier régulier de 12 mois n’aurait peut-être pas négligé ces films importants. En revanche, des films sortis au début 2017, comme Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, de Mathieu Denis et Simon Lavoie, ou Maudite poutine, de Karl Lemieux, se sont faufilés.

Un gala controversé? Certes. Mais surtout un redémarrage en trombe, sur lequel il faudra poser un oeil intéressé.

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