Alors qu’il passait des heures et des heures dans des salles sombres à Fantasia ces dernières années en tant que cinéphile, c’est sa curiosité, sa grande connaissance et son amour hors-norme du 7e art qui ont poussé Ariel Esteban Cayer tout naturellement vers la programmation et vers une section qui a pour nom Camera Lucida. «Fantasia est devenu pour moi un rituel d’été comme ce l’est pour bien des gens, dit-il. Avec le temps et la chance, j’ai eu l’occasion d’être impliqué dans le festival. J’ai une spécialisation en cinéma de l’Asie, donc je travaille avec Nicolas Archambault à la programmation asiatique. Mes intérêts gravitaient aussi autour de ce que Simon Laperrière faisait avec Camera Lucida, donc quand il est parti, c’était logique que je reprenne cette section cette année.»
«L’idée d’une section, c’est d’aiguiller le public vers quelque chose de précis», indique-t-il, tout en précisant que la programmation de Fantasia est un grand travail d’équipe. Il y a une ligne directrice pour chaque section et les cinéphiles peuvent renouer, année après année, avec un certain type de cinéma. Alors, qu’en est-il de Camera Lucida? «C’est la section la plus pointue du festival, qui est un peu à l’avant-garde du cinéma de genre, un peu plus art-house, affirme Ariel. L’idée est d’aller chercher des films qui réfléchissent au cinéma de genre, soit formellement ou dans leur approche.»
Le programmateur – qui est aussi critique de cinéma pour 24 images et journaliste pour Vice, entre autres – souhaite présenter des films un peu moins évidents, mais qui ont leur place dans un festival de cinéma de genre, et foncièrement bons. «Avec Camera Lucida, j’essaie de provoquer le public. C’est d’amener certaines perceptions du cinéma de genre comme étant autre chose que: le cinéma de genre égale le cinéma populaire. À un moment donné, les considérations “est-ce un film de genre ou pas?” s’envolent une fois que le film est commencé. On fait ça souvent dans la programmation asiatique: on met de l’avant des comédies romantiques ou des histoires de “coming-of-age”, mais ce sont des films qui ont une certaine énergie et qui fonctionnent avec le festival. Est-ce que ce sont des films de genre? Ce débat-là m’intéresse plus ou moins. Mais est-ce que c’est un bon film et le public va-t-il y répondre? C’est ce qu’on souhaite.»
Le processus de sélection de films de Fantasia est composé de visionnements à la maison, de voyages dans les différents marchés du film («à Berlin, au American Film Market, à Cannes, par exemple, ce qui nous permet de voir beaucoup de films sur le terrain et de rencontrer les distributeurs», mentionne Ariel), et puis il y a aussi les soumissions. Outre Most Beautiful Island de la réalisatrice Ana Asensio et The Honor Farm de Karen Skloss, tous deux repérés au festival SXSW en mars où Island a remporté le Grand Prix, voici quelques suggestions d’Ariel Esteban Cayer de films qui seront présentés à Fantasia 2017.
A Ghost Story de David Lowry, première québécoise
«C’est un film qui était à Sundance en début d’année. Le réalisateur américain retrouve Casey Affleck et Rooney Mara qui campent un couple qui vient d’acheter une maison en banlieue. Toutefois, le mari meurt dans un accident. C’est tout le deuil et la vie future de Mara, de la perspective du fantôme d’Affleck qui est littéralement en dessous d’un drap avec deux trous pour les yeux. Ç’a l’air comique, mais c’est super tragique. C’est un film sur le temps que prend le deuil. Comme Ain’t Them Bodies Saints (film de Lowry de 2013), celui-ci a un côté pastoral à la Terrence Malick.»
Le problème d’infiltration de Robert Morin, première mondiale
«C’est un film qui m’a surpris, un film ambitieux. C’est un peu Morin qui répond à Podz, à mon avis. C’est un film composé d’environ 10 plans-séquences. Mais à l’inverse d’un Podz, c’est pas un show technique; Morin va aller créer des effets de style déroutants pour se recadrer. Y a toujours un sentiment de superficialité et de flottement. Au lieu d’être impressionnant, ça donne quelque chose de plus oppressif et inquiétant. C’est la lente descente aux enfers d’un riche chirurgien exécrable qui est au milieu de poursuites. C’est vraiment un beau film sur la futilité de l’argent et la détresse du monde contemporain. La photo et l’éclairage sont magnifiques.»
The Tokyo Night Sky Is Always the Densest Shade of Blue de Yûya Ishii, première canadienne
«Ce réalisateur japonais est un habitué de Fantasia. C’est son film le plus audacieux. Il a commencé en faisant de la comédie et il a eu une transition vers des trucs plus commerciaux. Il revient ici avec un film qui est adapté d’un recueil de poèmes. C’est une histoire d’amour entre deux vingtenaires endettés et angoissés. Formellement, c’est super éclaté et poétique. Ça finit par être un hommage à Tokyo et à la vie à Tokyo, autant positif que négatif. Tu sens toute la lourdeur de vivre dans une ville où les gens doivent travailler tout le temps parce que c’est cher et la vie est effrénée, mais en même temps, y a toute une beauté dans ce train de vie et dans l’environnement. Ça m’a fait penser à Chungking Express.»
The Laplace’s Demon de Giordano Giulivi, première mondiale
«C’est une soumission qu’on a reçue cette année. Ça me fait penser beaucoup au cinéma de Guy Maddin, un pastiche des films italiens gothiques des années 1960, à la Mario Bava ou même Val Lewton, et à The Twilight Zone en terme de ton. C’est court et solide comme une intrigue d’horreur et y a aussi un côté pseudo sci-fi. C’est l’histoire d’un groupe de scientifiques qui pensent avoir découvert le secret de la probabilité. Ils travaillent sur une formule et lorsque tu arrives au bout de la probabilité, tu peux prédire l’avenir. Si tu jettes un verre par terre, pourrais-tu prédire le nombre d’éclats de verre? Ils pensent avoir trouvé la réponse. À la suite de leurs expériences, ils sont invités dans un grand château et se retrouvent à être eux-mêmes pris dans une expérience scientifique. C’est une drôle de bibitte et c’est un hybride de sci-fi, horreur et goth.»
Du 13 juillet au 2 août