Pour celui qui a toujours été fasciné par les trucages devant caméra et qui cherche constamment d’ingénieuses façons de faire beaucoup avec peu, ce projet s’avère tout à fait conséquent. Après Tokyo, New York, Moscou et Johannesbourg, notamment, l’Usine s’arrête à Montréal. Dans le complexe Dompark, jusqu’au 15 octobre 2017, les visiteurs peuvent réaliser des films amateurs complètement gratuitement, après s’être inscrits en ligne. Des décors variés, des accessoires et une petite caméra numérique sont mis à la disposition des visiteurs, qui disposent de trois heures pour réaliser leur œuvre, en suivant des étapes toutes simples afin de libérer leur créativité. Les visiteurs peuvent être jumelés à d’autres, mais la taille des groupes ne dépasse pas 15 personnes.
J’ai d’ailleurs eu le plaisir, avec d’autres collègues des médias, de participer à l’activité en contribuant à un film pour le moins éclaté, alliant film de gangsters, quête existentielle et comédie érotique. La création du film, intitulé Fantasme fatal?, s’est fait dans une ambiance de collégialité et même si le résultat final ne sera pas de la Quinzaine des réalisateurs au prochain Festival de Cannes, j’ai franchement apprécié mon expérience!
Le lendemain, je rencontrais Michel Gondry dans un cadre plus détendu et informel, pour un entretien au sujet de ce projet, mais également à propos de sa conception personnelle du cinéma:
Maxime Labrecque: On connaît votre passion pour les trucages ingénieux devant la caméra. Dans l’Usine, on retrouve certaines stations qui permettent aux visiteurs d’en expérimenter (notamment une voiture coupée en deux derrière laquelle défile un écran activé par la pédale d’accélération). Est-ce là une volonté de votre part de rendre ces techniques et trucages accessibles à tous?
Michel Gondry: «Non je ne pense pas. Peut-être la projection derrière la voiture, on pourrait dire que c’est un peu comme ça qu’on filme au cinéma, mais l’idée c’est de montrer qu’on peut ne pas avoir d’idées préconçues et qu’en s’asseyant avec 10 autres personnes qu’on ne connaît pas nécessairement, on peut accumuler des idées et passer du bon temps sans s’angoisser à savoir comment on va apparaître à l’écran, comment on va être jugé. D’une manière complètement fluide et décontractée, c’est fabriquer quelque chose en commun.»
ML: De plus en plus de gens, aujourd’hui, sont encouragés ou portés à réaliser des films puisque les moyens pour en faire se sont démocratisés et sont rendus beaucoup plus accessibles (pensons notamment aux logiciels plus intuitifs, gratuits, et au matériel moins cher). Est-ce que l’Usine s’inscrit dans cet air du temps?
MG: «Oui pourquoi pas! Mais encore une fois, c’est pas l’idée de faire des films, c’est l’idée de s’autogérer, de fonctionner à partir d’un ensemble de règles qui permet au film de se faire un peu tout seul. C’est ça qui m’a passionné. Élaborer cette liste de données à faire et finalement, au bout du compte, on a un petit film auquel tout le monde a participé.»
ML: Et c’est toujours amusant de voir les erreurs et imprévus dans le produit fini!
MG: «Oui, les gens rigolent plus des erreurs, mais parfois c’est aussi une façon de révéler des talents!»
ML: La visée pédagogique de ce projet est évidente. Depuis les débuts, vous avez eu l’occasion de le suivre et le voir évoluer, mais surtout constater la manière dont il s’ajustait aux différentes villes hôtes. Y a-t-il des films qui vous ont émerveillé ou des anecdotes que vous voudriez partager?
MG: «Oui. Il y a des films qui sont vraiment drôles. On voit que les gens se sont amusés même si c’est parfois la catastrophe! Moi j’avais participé à un film où il y avait quelqu’un qui donnait beaucoup de directions et en même temps il s’était gouré et avait tourné entre les prises. Et rien que d’entendre sa voix donner des ordres c’était à hurler de rire! Sinon un des premiers films qu’on a fait à New York était avec un groupe de filles qui se sont mises toutes nues avec de la peinture bleue et enrobées dans du plastique. Elles ont joué le rôle d’ovules je crois. Et la voiture c’était une coccinelle qui représentait un spermatozoïde. Elles étaient venues avec un groupe qui jouait derrière la caméra pour avoir l’ambiance. Ils ont enregistré 20 minutes comme ça, avec des filles qui grimpaient sur les murs du couloir, et après ça a donné un film très «artsy». Mais y avait pas ce côté «déguisement». On essaie de le contrôler ce côté-là parce que ça devient un peu trop une caricature. Donc évidemment ce film est devenu un succès pour les visiteurs car ils voyaient des filles toutes nues notamment! On a remarqué qu’en général, les gens qui n’avaient pas d’idées préconçues sur la manière dont sont faits les films ou qui ne travaillent pas dans le milieu avaient plus de facilité à faire quelque chose d’intéressant. Les résultats étaient plus drôles.»
ML: C’est une bonne façon de sortir d’un cadre strict et institutionnel, de s’éloigner des sentiers battus.
MG: «Oui, et puis pour moi c’est intéressant de voir ce qu’une personne qui n’a pas de job dans le milieu du cinéma va pouvoir apporter au processus.»
ML: Vous aimez tourner en décors naturels, notamment pour ne pas brimer le jeu des acteurs. Jusqu’à quel point considérez-vous que l’usine – avec ses décors fragmentaires et créés de toutes pièces et le matériel mis à la disposition des gens – encadre le processus de création? Sur une échelle de 1 à 10, où situeriez-vous leur niveau de liberté de création?
MG: «Je pense que je vais dire 8! Au final, on peut faire pratiquement ce qu’on veut. S’il n’y a pas un décor ou un accessoire, on peut le bricoler. J’ai vu des choses très ingénieuses pour exprimer des idées ou représenter des scènes qui étaient a priori pas faisables. Donc il n’y a pas vraiment de limites, mais en même temps si on allait dans la rue ça serait différent. On l’a fait d’ailleurs: un des meilleurs films qu’on ait réalisés, c’était dans une banlieue nord de Paris qui était réputée assez difficile et on a fait un atelier qui était vraiment bien! C’était une histoire de baston, de vol de téléphone mais le résultat était bien! Il n’y avait pas les décors, ça se rapprochait d’un film ou d’un documentaire sans les artifices. Ce qui est bien avec l’usine c’est que tous les décors sont regroupés et ça pousse l’envie des gens car c’est comme une boite avec des tiroirs et ça donne envie de se jeter dedans.»
ML: Comme lors du tournage auquel j’ai participé! On s’est laissé emporter par les possibilités et on a tourné dans pratiquement tous les décors. C’est une bonne manière de repousser les limites de l’imaginaire en ayant tout ça à notre disposition. Vous dites souhaiter désacraliser le rôle du cadreur ou du réalisateur avec ce projet. Pourriez-vous élaborer davantage sur le sujet?
MG: «Je n’ai pas tant de commentaires à faire sur le rôle du réalisateur dans un film normal. C’est vrai que c’est un système un peu fasciste dans le sens où il y a une personne qui prend les décisions sans consulter les autres, parce que cette personne veut imposer ou partager sa vision, parce que ça se passe comme ça. Avec l’usine, c’est le contraire; c’est tout le monde qui produit les idées, c’est-à-dire qu’il y a un groupe de personnes, la pyramide est inversée et finalement ça se rejoint en dessous avec une idée. Quand je dis désacraliser l’idée du cadreur, c’est pour bien s’assurer que la personne qui prend la caméra ne va pas être le réalisateur, qu’elle ne va pas s’accaparer le rôle de prendre les décisions, la direction. C’est pas un rôle d’esclave, car c’est créatif et important, mais il est au service des autres.»
ML: En effet, et en instaurant un processus démocratique, c’est une bonne façon de s’assurer que ce n’est pas la personne avec la plus grande gueule qui va prendre le contrôle. On vote pour s’assurer que les idées passent bien.
MG: «Mais la démocratie ça s’encadre sinon s’il y a une liberté totale, c’est toujours le plus fort et le plus avantagé qui exploite les autres. Je suis pas très fort en politique mais j’ai quand même des idées! Il faut que les gens se mettent d’accord sur un fonctionnement qui soit appliqué par après et qu’il serve tout le monde.»
ML: C’est un peu comme une capsule, ou une microsociété alors!
MG: «Oui c’est des choses auxquelles je crois et que j’essaie de mettre en pratique dans ce contexte particulier, cette «capsule» comme vous dites.»
ML: En terminant, qu’est-ce qui vous étonne aujourd’hui au cinéma?
MG: «Je suis toujours épaté de voir qu’un ensemble de bouts de réalité qu’on a tourné, collés ensemble, donne une continuité. Ça, j’arrive pas à comprendre comment ça marche! Des fois j’y pense et je sors du film et après j’arrête d’y penser et je rentre dedans et j’ai l’impression de voir la vie, alors que la vie on la voit en continuité. Ça me scie toujours! Je me pose chaque fois la question: comment c’est possible d’être absorbé dans une histoire qui est racontée par des segments.»
//
Pour plus d’informations ou pour s’inscrire à l’activité: chromatic.ca/off/lusine-de-films-amateursbrde-michel-gondry-a-montreal