Pas une journée ne passe sans qu’on rappelle à Luc Bourdon à quel point La mémoire des anges est une oeuvre magistrale et importante pour notre histoire.
«Avec ce film, j’ai travaillé avec un cinéma direct naissant et les images filmées se situent entre les années 1954 et 1967, nous explique-t-il. Il y a une réelle candeur encore palpable à l’époque dans le fait de tourner et de faire du cinéma. C’est ce qu’on a appelé le candid eye et la mouvance du cinéma-vérité. J’ai refusé pendant cinq ans de faire une suite parce que je trouvais que la période située entre 1967 et 1980 était trop présente et c’était du déjà vu. Puis, j’ai plongé dans ce projet et j’ai tenté d’éviter ces pièges du déjà dit, mais je savais d’office que ce film serait grinçant, chialeux et éminemment politique.»
Évidemment, il est difficile d’éviter certains épisodes essentiels de cette époque: la Loi sur les mesures de guerre, l’opposition entre Lévesque et Trudeau, la contre-culture, les Jeux olympiques de 1976, etc. Mais rien ne semble se répéter ici, car l’assemblage des images et le traitement de celles-ci coulent et nous font valser dans un Québec proche et lointain à la fois. C’est un poème brut parfois violent, parfois triste, d’autres fois méditatif. Bourdon réussi à nous faire voir cette décennie et notre passé comme jamais. Notre maître n’est plus le passé, mais le geste qu’on pose aujourd’hui avec la mémoire comme pierre angulaire.
«Je n’ai pas construit ce film à partir de mes idées politiques, dit Bourdon. Ce film n’est pas un manifeste. Ce que je veux retrouver, c’est la vague de fond et l’esprit d’une époque. Je ne pense pas que ce soit un film pessimiste, cela dit. René Lévesque apparaît très tôt dans mon film pour nous dire qu’il faut accepter de faire des erreurs comme tout le monde. Pourquoi le poids de l’erreur et de la culpabilité sont aussi lourds chez nous? Pourquoi sommes-nous incapables de voir que nous avons aussi réalisé des bons coups?»
À partir de plus de 2000 films essentiels et d’autres, complètement oubliés, qui ont d’ailleurs été restaurés dans la foulée, Bourdon complète ce qu’il avait entamé avec son précédent film. Cela représente des kilomètres de feuilles de notes et des centaines d’heures en salle de montage avec son fidèle complice Michel Giroux. Bourdon et Giroux assemblent une matière visuelle préexistante et créent ainsi un regard nouveau sur la pellicule de notre histoire. Le cinéaste insuffle un jet poétique à un matériel cinématographique et angle les choses d’une autre façon.
Ce film offre des moments de grâce, comme cette scène en noir et blanc dans une classe d’école primaire qui écoute Quand on n’a que l’amour de Jacque Brel. On aime voir Alanis Obomsawin chanter Théo, nom de l’oncle qui lui a enseigné l’histoire du peuple abénaquis. On aime aussi voir Armand Vaillancourt évoquer le doute avec son art. On adore quand Gerry apparaît en chantant Faut que j’me pousse et quand Pauline Julien récite La main du bourreau finit toujours par pourrir de Roland Giguère. Enfin, on aime tout cela car enfin on a réussi à contrer l’amnésie et enfin on se souvient.
«Je vois ce film comme un grand scrapbook ou chacun voit une partie de son histoire, dit Luc Bourdon. Ce que je présente est fragmenté et je ne suis pas pamphlétaire. Il y a tout un pan de la cinématographie qu’on voit dans ce film qui a été restauré et c’est aussi la mission que je me donne en faisant ce travail. Un film comme Cap d’espoir de Jacques Leduc (qui a été interdit à l’époque au Québec) refait son apparition.»
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La part du diable réussit son pari audacieux de remixer l’histoire de la décennie 70. Mais en plus de cela, il nous redonne la mémoire, il nous aide à retracer le fil de l’histoire et combat ainsi réellement notre amnésie collective. Un film important, essentiel, qui, à l’image de Miron, un homme revenu d’en dehors du monde de Simon Beaulieu, doit être présenté dans toutes les écoles du Québec.
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En première mondiale le 10 octobre au cinéma Impérial, dans le cadre du FNC nouveaucinema.ca
En salle à l’hiver 2018