Cinéma

All You Can Eat Bouddha au FNC : Prophète malgré lui

C’est l’histoire de Mike qui débarque dans un complexe hôtelier cubain et qui n’en ressortira jamais. Premier long métrage du réalisateur et directeur photo Ian Lagarde, All You Can Eat Bouddha nous convie à un certain esprit surréaliste, décadent, qui nous réjouit par sa grande liberté.

Si vous voulez voir un film normatif à la trame narrative classique et au déroulement sans embuches, ce film n’est pas pour vous. All You Can Eat Bouddha est avant tout une expérience cinématographique, qui bénéficie grandement du travail de conception sonore de Sylvain Bellemarre. Une expérience dont personne ne ressortira indemne, avec une interrogation sur ce qui vient de nous arriver. Ce long métrage est un voyage rempli de turbulences dans l’imaginaire symboliste et drolatique de Ian Lagarde.

«C’est en lisant Siddharta d’Hermann Hesse dans un parc aquatique que m’est venue l’idée de ce film, explique-t-il. Je voulais transposer cette spiritualité dans un lieu kitsch comme ce tout inclus un peu défraîchi. Il y avait un fort potentiel satyrique en alliant ces deux éléments.»

Tourné entièrement à Cuba, avec un microbudget et une volonté de fer, All You Can Eat Bouddha est une fable sociale, un météore dans la constellation des productions québécoises. L’histoire raconte le parcours de Mike, un plaisancier corpulent, qui se retrouve dans un hôtel tout inclus à Cuba: El Palacio. Mike est doté d’un appétit d’ogre. Il mange, mais ne parle presque pas. Quelque chose attire tout le monde vers cet homme, de façon incompréhensible. Il est en quelque sorte un prophète dans un monde en décrépitude. L’univers qui est dépeint par le réalisateur montréalais est hérité de lectures, de films et d’une certaine vision du monde marquée par l’idée du perpétuel recommencement.

«J’ai grandi avec la bande dessinée L’Incal scénarisée par Jodorowsky et illustrée par Moebius, explique Lagarde. Il y a le film La montagne sacrée aussi qui m’a grandement marqué avec son kitsch surréaliste que j’adore. Sinon, il y a le film Teorema de Pier Paolo Pasolini qui raconte l’arrivée d’un personnage qui vient bouleverser toute une famille bourgeoise milanaise. Il mène chacun à sa propre perte. J’aimais beaucoup cette idée en l’appliquant à mon personnage principal.»

Pour incarner le personnage de Mike, Lagarde semble avoir trouvé l’acteur idéal en la personne de Ludovic Berthillot. Habitué des théâtres parisiens et des télévisions françaises, il a tourné aussi bien chez Assayas qu’avec Valérie Lemercier ou en compagnie de Gérard Depardieu. Berthillot a le physique de l’emploi: corps râblé, gueule de mineur à la Zola… Il porte ce film sur ses épaules.

«Je trouvais ça intéressant que notre personnage de Mike ne soit pas un Québécois, nous dit Ian Lagarde. Au final, c’est sa tronche de gangster qui m’a séduit. Je voulais qu’on ait l’impression qu’il avait un passé de dur et de tough. Ludovic avait le regard et le corps pour incarner Mike Jodorowsky. C’est au final ce qui a triomphé sur les autres candidats en audition.»  

Outre Berthillot, on retrouve David La Haye en animateur de danse libidineux et Sylvio Arriola en hôte très dévoué ainsi que Yaïté Ruiz en femme de chambre transie d’amour pour Mike. Une galerie de comédiens qui comprennent bien la trame narrative et l’univers décalé proposé par le réalisateur. En plus de ceux-ci, il y a un étrange poulpe qui semble vouloir communiquer quelque chose à Mike, un poulpe qui a beaucoup voyagé pour arriver à Cuba.

«On a tourné ce film en partie dans les plus vieux studios de La Havane où il y avait encore des lampes à arc. Le tournage sur place a été rocambolesque. On a dû tout amener notre matériel, car les ressources cubaines sont assez limitées. Pour ce qui est la pieuvre, elle a été transportée des ateliers de Bruno Gatien (maquilleur prothésiste) à Cuba en pièces détachées et emballée dans quatre ou cinq caisses. Ce fut assez stressant de lui faire passer les douanes cubaines!»

On ressent tout le plaisir qu’a eu l’équipe pour ce tournage et il y a dans All You Can Eat Bouddha un tour de force évident. Avec ce film, Ian Lagarde s’inscrit décisivement en porte à faux et tente de tracer une voie bien différente, qui ose.

En salle le 16 février

En première québécoise au FNC le vendredi 13 octobre au cinéma Impérial à 21h

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