Dans le cadre de ce documentaire créé à l’occasion d’une résidence de deux ans à l’ONF (programme qui n’existe plus aujourd’hui), la réalisatrice Céline Baril est partie visiter trois continents avec un procédé fort simple: aller à la rencontre d’êtres singuliers qui transforment leur environnement immédiat de façon autonome. C’est par la nécessité de se créer une structure à l’intérieur d’une autre structure que semblent portés les êtres que l’on rencontre dans 24 Davids, le tout encadré par l’expertise de plusieurs physiciens qui nous expliquent le cadre de l’univers.
«C’est un film d’observation qui est en effet le fruit de rencontres toutes simples, nous dit Céline Baril. Je n’ai jamais voulu en faire un film de militance. Ce film est né alors que je lisais un activiste américain qui fait partie d’un mouvement mondial pour la défense des biens communs (l’eau, l’air, le territoire), David Bollier. Il était de passage à Montréal pour une conférence et je suis allée à sa rencontre pour une première entrevue. Ensuite, j’ai décidé d’impliquer des physiciens dans le film pour nous ramener à notre petitesse dans l’espace gigantesque qu’est l’univers.»
Un peu à la façon de l’Oulipo et autres Georges Perec, l’artiste qu’est d’abord et avant tout Céline Baril s’est donné la contrainte formelle de bâtir son film autour du prénom David. Elle irait donc à la rencontre de plusieurs personnes nommées David afin de construire un long métrage documentaire sur le sujet de l’état du monde aujourd’hui. Que veut dire l’être humain contemporain? Qui sommes-nous aujourd’hui? Quel impact avons-nous sur notre environnement immédiat? Comment vivons-nous ensemble?
«Tous mes Davids forment un seul David, c’est une espèce d’écosystème qui donne une idée de la façon dont les gens vivent aujourd’hui, précise Céline Baril. Ma démarche est expérimentale. J’ai fait le minimum de préentrevues avant de me rendre sur place. Cela donne parfois des résultats mitigés, d’autres fois la magie opère, comme avec David le cycliste anglais, qui a réussi à synthétiser toute son expérience personnelle et son expérience de cycliste en une fabuleuse métaphore vivante.»
Ainsi, en compagnie de Céline Baril et de son équipe (Marie-Pierre Grenier au son et Julien Fontaine à la caméra), nous partons à Agbogbloshie au Ghana où David tente de fabriquer du neuf avec les déchets électroniques internationaux remplis de plomb, de dioxine et de mercure. En Colombie, David a révolutionné l’urbanisme de la ville de Medellín. Au Mexique, David est un pionnier du hip-hop qui aide les jeunes de quartiers difficiles à faire autre chose de leur vie. À Londres, David vit sur un bateau; à Calais, David vit en attente d’un lendemain qui chante. Toute cette cohorte de Davids forme une odyssée humaine qui nous fait réfléchir, qui nous révolte, qui nous fait rire et nous faire dire que le champ politique est miné et ne peut plus rien. Non, aujourd’hui il faut créer une autre réalité et structurer son existence en dehors du cadre établi par la chose politique. C’est le bilan qu’on retire de ce documentaire choral qui tente d’aller chercher le plus beau chez l’être humain dans un univers rempli de ronces et de violences inexorables.
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«Les gens vivent à côté du monde et tentent de se tracer un chemin parallèle. Il faut s’informer plus que jamais aujourd’hui, il faut écouter des balados, lire, regarder des documentaires. Ce film est cohérent avec ma démarche et met le doigt sur une chose: la clef de voûte pour comprendre les déséquilibres de notre monde contemporain ce sont les inégalités. Le monde est tendu, car il y a un déséquilibre des richesses qui provoque des inégalités. Sans ce déséquilibre, les gens sont capables d’avoir un oeil les uns sur les autres comme autrefois au Moyen-Orient.»
Si la contrainte formelle est amusante, elle réussit également à rendre compte de façon totale d’un monde contemporain changeant et profondément bouleversé par des jeux de pouvoir s’opérant en coulisse. En terminant son film sur les images du camp aujourd’hui démonté de Calais, Céline Baril n’oublie pas l’un des drames les plus importants de l’actualité.
Cette image d’une dizaine de migrants – un terme qui les rend toujours un peu plus anonymes -, autour d’un feu en plein jour le long d’une voie d’accès à l’autoroute, vient catégoriquement ajouter du sens et du poids au propos du film. Notre monde n’est plus viable selon les standards fixés par les institutions politiques. Il faut en sortir et créer nos propres solutions envers et contre tous.
À la Cinémathèque québécoise à Montréal dès le 2 février
En ouverture des 20es RIDM, le jeudi 9 novembre 2017.