Festival Regard: films et confidences
Mon séjour à Regard cette année a été en deux temps: des films et des discussions. Regard offre l’opportunité de faire le plein de courts métrages, des oeuvres courtes et riches qu’on ne voit pas nécessairement en ligne ou sur les plateformes de streaming.
Parlant de ça, justement, samedi avait lieu à la salle Murdoch de Chicoutimi une table ronde avec quatre programmateurs et programmatrices de plateformes numériques dédiées au cinéma. Eric Malyshev de Fandor a indiqué que son service sur abonnement tentait avant tout de pousser pour une participation active des utilisateurs afin de les garder intéressés par le cinéma et par la plateforme. Le site favorise l’interaction humaine aux algorithmes et propose des vidéos sur la première femme cinéaste ou sur le son dans les films de Guillermo Del Toro, par exemple.
Alors que Les Films du 3 mars est d’abord une compagnie de distribution de films qui s’est créé dans les dernières années une plateforme de diffusion en ligne, MUBI a le parcours inverse, ayant débuté en streaming avant d’avoir évolué en distribution en salle. Kurt Walker, coordonnateur de la programmation et commissaire de MUBI a indiqué que l’implication de certains cinéastes influents (Paul Thomas Anderson, Lynne Ramsay) sur la plateforme a pour effet de confirmer sa crédibilité.
Anne Paré, directrice générale de F3M, a expliqué que la plateforme VUCAVU, qui regroupe huit distributeurs canadiens, est dans un autre terrain de jeu que Fandor ou Mubi puisqu’il dépend d’argent public et que la plupart des gens impliqués ne travaillent pas à temps plein là-dessus. Finalement, Madeline Robert a présenté une jeune plateforme qui a du potentiel, Tënk, consacrée pour le moment au cinéma francophone européen (France, Suisse, Belgique, Luxembourg), mais qui pourrait certainement s’ouvrir au marché québécois ces prochaines années.
Leçon de cinéma
Robin Aubert était l’invité de Manon Dumais lors d’une leçon de cinéma samedi après-midi. La discussion de plus d’une heure a retracé le parcours de cet acteur de Radio enfer et de 4 et demi devenu réalisateur après sa participation à La course destination-monde à la fin des années 1990. Il a dit avoir porté longtemps sur ses épaules le poids de «l’acteur qui réalise», mais qu’il avait l’avantage d’avoir des amis comédiens qui disaient oui à ses projets. Il a beaucoup appris sur le métier de réalisateur avec Louis Saïa (Radio enfer) et aussi avec André Forcier (La Comtesse de Bâton Rouge) qui lui a dit un jour: «Voyager c’est enivrant, enivre-toi.»
Son premier court métrage à titre de réalisateur était Lila, en 2000. Il dit s’être inspiré du dur retour à la réalité suite à La course destination-monde. Il avait passé des semaines dans des communautés pauvres, mais le plus dépaysant dans tout ça, c’était de voir tous ces itinérants dans les rues de Montréal à son retour. À l’origine, Lila était un poème pour la radio de Radio-Canada avec une musique de Fred Fortin.
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Robin Aubert était très ému lorsqu’il a parlé de son long métrage À l’origine d’un cri. Il a dit avoir mis au monde le film sans l’accompagner dans les festivals. C’est un peu comme s’il avait laissé tomber un bon ami, a-t-il lancé, la gorge nouée.
Après quelques longs métrages, le cinéaste est revenu au format court en 2014 avec Sur le ciment, percutant récit d’une dame âgée qui souhaite vivre un peu d’amour pour une dernière fois. À Regard, Robin Aubert a dit qu’il reviendrait toujours au court lorsqu’il le peut puisque c’est désormais un format de liberté pour lui. «Quand tu commences en court, c’est souvent pour aller vers le long métrage. Quand tu reviens au court après avoir fait du long, il reste l’expérimentation.»
Les courts à retenir
Je vous recommande tout d’abord deux courts métrages primés à Regard, Va jouer dehors d’Adib Alkhalidey et Fauve de Jérémy Comte. Deux films mettant en vedette un duo de meilleurs amis, des enfants laissés à eux-mêmes. Le premier est ancré dans l’urbanité et est plus humoristique alors que le second est rural et a une trame dramatique. Voilà des regards pertinents sur l’enfance, naviguant entre la naïveté et les difficultés, mais toujours teintés d’espoir.
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Quatrième court métrage de Fernand-Philippe Morin-Vargas, Pile ou face s’est avéré être un film fort bien cousu et très drôle sur un maire sortant qui tente d’assurer sa réélection. Toutes les poupées ne pleurent pas de Frédérick Tremblay est un film d’animation avec marionnettes et sans voix, captivant de par sa minutieuse confection. Le sujet de Patrick Bouchard est une mise en abîme très réussie sur la création alors que le cinéaste se met en scène, découpant un moulage de corps humain duquel sortent des objets et mécanismes (table tournante, projecteur, tuyaux de toutes sortes, des clous dans les pieds – en référence à la religion…). En résulte une extraction de soi expérimentale et évocatrice.
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Finalement, soulignons le court métrage de l’Inde Counterfeit Kunkoo de Reema Sengupta, film assez glauque mais magnifique sur une femme qui tente de s’échapper d’un mariage malsain et qui peine à trouver un propriétaire qui accepte les femmes célibataires.
Merci et à bientôt, Regard!