Paul Shipper : rêver sa vie, puis vivre son rêve
Né à Manchester en 1976, Paul Shipper est aujourd’hui un illustrateur comblé. Comblé par le succès, mais surtout par ce sentiment du rêve accompli. Travaillant dans son studio du sud ouest de l’Angleterre, Paul a commencé sa carrière à la fin des années 1990, mais ce n’est que récemment que son talent a pu être dévoilé au monde entier. Ce fan d’Indiana Jones, de Star Wars et plus généralement de pop culture avait ce rêve en tête depuis l’enfance. «J’avais beaucoup d’affiches de films dans ma chambre et j’ai toujours été fasciné par leur beauté. Aujourd’hui, j’essaye de garder ce côté rétro, mais en l’adaptant aux techniques de notre époque.»
Un rêve dans le cœur, une idole en tête
Ce parcours, c’est avant tout celui d’un enfant, puis d’un jeune homme passionné, les étoiles plein les yeux quand il reçoit une réponse de son idole Drew Struzan, illustrateur fétiche de Spielberg à l’époque de ses plus grands succès. On compte parmi ses oeuvres les affiches de la trilogie originale Star Wars, deux Indiana Jones, Retour vers le futur, Goonies, E.T, Blade Runner, Hook, Harry Potter et bien d’autres.
«Un jour au collège, un enseignant m’a donné un livre dans lequel il y avait un article sur Drew Struzan. Ce n’est que beaucoup plus tard que je me suis rendu compte qu’à l’arrière du livre se trouvaient les adresses et numéros de téléphone des contributeurs du magazine. Drew Struzan en faisait partie et j’ai dû rassembler mon courage pour lui envoyer une lettre par fax. Je vivais encore chez mes parents, j’ai donc utilisé le petit bureau qu’ils avaient, puis je suis allé retrouver mes amis à l’extérieur. Ce soir-là, on s’amusait probablement avec un jeu de rôle de Star Wars. Quand je suis revenu dans ma chambre plus tard, j’ai découvert une feuille de papier que ma mère avait déposé sur mon lit. C’était une réponse de Drew!»
Paul poursuit son anecdote, avec une émotion dans la voix mal dissimulée. «Je l’ai toujours aujourd’hui. C’était au milieu des années 1990, Drew ne travaillait pas tellement à cette époque. Il me racontait que les ordinateurs commençaient à voler le travail des illustrateurs, que les studios ne laissaient plus autant de liberté qu’à l’époque… Je l’ai vécu comme un retour à la réalité, car je lui demandais s’il avait des conseils pour moi, qui voulais devenir un illustrateur d’affiches de films comme lui. Mais une phrase a retenu mon attention: Continue de frapper aux portes jusqu’à ce qu’elles s’ouvrent.»
«Depuis ce moment, je n’ai jamais abandonné. J’ai senti qu’il me disait de ne pas laisser tomber, de toujours poursuivre mon rêve et de ne jamais laisser personne me dire que je ne pouvais pas y arriver.»
Et c’est bien ce que Paul Shipper a fait. «Mais ça m’a pris du temps!» plaisante-t-il. En effet, le jeune Paul s’inscrit à l’Université de Manchester et est finalement diplômé en 1997 d’un diplôme en illustration et animation. «L’université ne donnait aucun conseil sur comment réussir à faire une carrière dans l’illustration, donc j’ai enchaîné les lettres auprès de plusieurs agents, mais je recevais toujours le même genre de réponses: «Nous ne recherchons personne pour le moment, mais si besoin nous vous tiendrons au courant…». Puis mon père a eu besoin d’aide pour son entreprise, alors je me suis mis à travailler pour lui la journée en faisant des brochures et des publicités. Le soir, je me concentrais sur mes affiches et mes peintures.»
Le début du succès : Internet et la Shout Factory
Et voilà qu’Internet arrive, comme une providence. «J’ai alors commencé à diffuser mon travail sur le web au début des années 2000. C’était le tout début d’Internet, alors il n’y avait encore pas grand-chose en ligne. Je suis un très grand fan d’Indiana Jones et d’Harrison Ford, qui m’a énormément inspiré. Je collectionnais tout ce qui était en rapport avec lui! Et il y avait ce site dédié à la saga appelé Raider.net auquel j’ai envoyé des fan-arts. Ils ont accepté de les publier et pour la première fois mon travail était vu par plein de personnes différentes. J’ai donc eu beaucoup de retours, de conseils… c’était devenu assez addictif!»
Internet a permis à Paul de rencontrer les bonnes personnes, notamment Pietro Filipponi, devenu un ami par la suite et qui connaissait l’équipe de la Shout Factory, une compagnie de divertissement créée en 2003 qui met à l’honneur la pop culture grâce aux talents divers de ses artistes et collaborateurs. «Grâce à lui, j’ai travaillé avec les gars de la Shout Factory à partir de 2011 ou 2012. J’étais en Nouvelle-Zélande à l’époque. Ça a été un tournant dans ma carrière». En effet, Paul Shipper a eu l’occasion de créer de nombreuses pochettes de DVD pour des classiques du cinéma réédités, comme Mad Max ou The Thing (dont l’affiche originale était de… Drew Struzan!).
«Ça a été un très long processus, répète Paul. J’ai fini par modifier mon style traditionnel pour travailler plus avec le digital. Mes productions se sont améliorées, notamment sur leurs compositions et le rendu final. J’ai continué à m’accrocher».
À cette époque, ces quelques mots de Drew Struzan, posés sur le lit de l’adolescent il y a alors environ 16 ans, sont toujours gravés dans l’esprit de Paul Shipper. Ils font désormais partie de son ADN.
«Puis d’autres personnes ont vu mon travail, on m’a proposé de venir aux États-Unis et j’ai fini par avoir un rendez-vous chez Disney avec le département graphique. C’était une année avant la sortie des Gardiens de la Galaxie, donc en 2013. L’un des responsables m’a dit qu’il aimait beaucoup mon travail et qu’il aimerait travailler avec moi sur ce film.»
Malheureusement, un changement d’équipe n’a pas permis à Paul de concrétiser cette première grande opportunité. Néanmoins, cela a eu le mérite de l’introduire une première fois dans le monde très fermé des productions hollywoodiennes. Fidèle à lui-même, Paul a continué à frapper à la porte de Disney, attendant patiemment qu’elle s’ouvre à lui. «Chaque année je revenais, et je cognais à leur porte pour leur dire «Hello, je suis là!» Finalement, ils m’ont demandé de réaliser une affiche pour Docteur Strange.»
«Et ils ont dû aimer puisque peu de temps après, LucasFilm (société de production qui appartient à Disney depuis 2012, NDLR) m’a contacté pour que je réalise l’affiche de la Star Wars Celebration 2017». Il s’agit d’un événement annuel qui réunit les fans de la saga ainsi que les acteurs, réalisateurs et équipes de la saga.
«Tout de suite après, ils m’ont demandé de faire l’affiche Dolby des Derniers Jedi.»
Les affiches de Paul Shipper rencontrent bien souvent un grand succès auprès du public. Sur Twitter, ils sont nombreux à «retrouver leur âme d’enfant» en voyant le poster de Paul Shipper. Mais pourquoi ? La réponse est la même pour une large majorité de personnes: c’est un retour dans les années 1980. Ces années où la pop culture était à son apogée, menée par un Spielberg qui a inspiré des dizaines de réalisateurs, lesquels ont d’ailleurs pu exprimer leur admiration dans le dernier numéro du magazine Empire dédié au légendaire réalisateur. Et comme un beau signe du destin, qui a dessiné la couverture de l’édition réservée aux abonnés? Vous l’avez deviné, c’est Paul Shipper lui-même.
Un style rétro-moderne emprunt de nostalgie
Mais derrière ces magnifiques visuels, se cache pourtant un métier difficile, qui demande une patience extrême et une grande volonté. Tout d’abord, les étapes de création d’une affiche sont loin d’être une sinécure. Convenir aux demandes des clients tout en essayant d’apporter sa touche personnelle est clairement l’élément le plus ardu du travail de Paul Shipper. Sans mentionner les délais souvent très courts.
«D’abord, je dois essayer de réunir les éléments que veulent les clients, puis je commence à faire un genre de brouillon avec une première mise en forme grâce à des photos. Je choisis le matériel que je vais utiliser et je joue avec les couleurs et les idées. Le premier jet va ensuite être montré au client, histoire de savoir si c’est le bon chemin, quels changements sont nécessaires, si la place pour le logo et le titre est suffisante… Jusque-là, je ne dessine rien, je n’utilise que des photos pour gagner du temps, car les délais sont souvent très courts et le temps est si important dans cette industrie! C’est vraiment une collaboration, et je suis toujours content de recevoir des avis. Parfois, ils n’aiment pas mes idées et je n’aime pas les leurs. Donc on essaye de trouver un terrain d’entente. Mon travail c’est de les rendre heureux, mais aussi de me rendre heureux, sans forcément qu’ils le sachent.»
«Puis, je renvoie le travail modifié le plus rapidement possible. Une fois validé, je commence à le peindre en utilisant Photoshop. J’ai aussi une tablette qui me permet de dessiner à la main. Une fois terminé, j’envoie à nouveau le travail. Soit ils me disent «OK, c’est parfait», soit «on a encore des changements!» Certains projets peuvent nécessiter une vingtaine de modifications, d’autres ont seulement besoin d’un essai pour que ce soit parfait. En moyenne, la création d’une affiche dure environ un mois et demi quand il y a un vrai travail. Quand un client arrive avec une idée déjà complète et qu’il me demande juste de le peindre, ça ne nécessite qu’un jour ou deux.»
Aujourd’hui, Paul compte parmi ses clients de nombreux grands studios et réalisateurs comme Disney, Edgar Wright, Simon Pegg, J.J. Abrams, ou encore dernièrement, Steven Spielberg.
«Ce que j’aime aussi dans ce métier, c’est qu’il faut rester constant, garder un certain élan car tu ne sais jamais quand un nouveau client va arriver, ni quelle sera sa demande. C’est assez excitant. Aujourd’hui, tout va bien, j’ai des clients, je travaille déjà sur un nouveau projet et je suis reconnaissant envers les dieux du cinéma! Il y a beaucoup d’autres illustrateurs talentueux qui pourraient faire ce que je fais. Mais il n’y a pas de règles pour ce genre de choses. Il faut juste rester régulier, s’accrocher et espérer rencontrer les bonnes personnes.»
Aujourd’hui, nombreux sont ceux à faire de Paul le successeur de Drew Struzan. «Le travail de Drew a eu un tel impact sur moi… C’est déjà un honneur d’être dans la même phrase que lui! Alors le fait que l’on compare mon travail au sien, c’est exceptionnel. Pourtant, nous avons des différences. Je ne travaille plus de manière traditionnelle, je suis rentré dans le monde du digital, mais j’essaye de garder vivante cette esthétique qu’il a lui-même créée. Même en utilisant la technologie moderne, le cœur et l’âme sont toujours là, et je pense que c’est ce que les gens voient. Aujourd’hui, si on demandait à Drew et moi de réaliser une affiche sur un thème précis, nous ferions deux choses complètement différentes. Je suis heureux que les gens le prennent dans le bon sens et qu’ils ne disent pas «tu ne fais que copier Drew». Je ne copie pas Drew. Je suis moi. Mais le travail de Drew m’a beaucoup inspiré et il fait partie de moi aujourd’hui.»
«Si je meurs demain, je mourrais heureux»
Cette capacité à transmettre toute cette atmosphère des années 1980 est aussi due à son amour personnel pour la pop culture. À l’évocation des éléments présents sur ces diverses affiches, Paul Shipper se lève de son bureau, son téléphone en main grâce auquel nous discutons sur Skype, et se dirige vers une étagère pleine de babioles. Il s’en approche et montre une figurine du géant de fer. «J’adore le géant de fer, je l’aime tellement!» Puis Paul, en bon fan et collectionneur qui se respecte, passe en revue une partie de sa collection. «Oh et là c’est la DeLorean, ici la KITT, et bien sûr Indi! C’est la version du Temple maudit. Ah, et j’ai même Kermit la Grenouille!»
Puis, le regard de Paul s’arrête sur une photo. Il prend en main le cadre et le rapproche de l’écran. «Voilà une photo de Drew et moi, la première fois que je l’ai rencontré.» Le jeune Paul, le sourire timide, pose fièrement aux côtés de Drew Struzan. «C’était l’année où j’ai eu mon diplôme et j’allais prendre un mois de repos avec mes amis. Nous voulions partir faire du camping aux États-Unis et notre voyage commençait à Los Angeles. J’ai envoyé un nouveau fax à Drew pour lui faire savoir que je serais dans le coin. Il m’a alors invité dans son studio, nous avons discuté et c’est une journée que je n’oublierai jamais. Depuis ce moment, nous avons gardé contact. Il me donnait des conseils de temps en temps et moi je lui envoyais des cartes à Noël. C’est assez exceptionnel d’être en contact avec son héros.»
De retour à son bureau, Paul replonge dans le passé, se revoyant devant sa télé à regarder des films, à accrocher ses affiches dans sa chambre et en découvrant cette lettre, déposée sur son lit.
«J’ai grandi avec les films de Steven Spielberg et en admirant les affiches de Drew. Le fait d’être là où je suis aujourd’hui est incroyable. Ce genre de trucs n’arrive d’habitude que dans les rêves», confie Paul Shipper, avec toujours cette même émotion dans la voix.
«C’est un immense honneur pour moi d’en être arrivé là. Tout ce que j’ai fait, tout ce pour quoi j’ai travaillé, tout ce en quoi j’ai rêvé…» Paul marque alors une pause de quelques secondes.
«Si je meurs demain, alors je mourrais heureux.»
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