Alexandre Landry : La valeur du valeureux
Cinéma

Alexandre Landry : La valeur du valeureux

On ne sait presque rien de La chute de l’empire américain, sinon que Denys Arcand y revient à ses premières amours pour le film social aux accents policiers, avec une distribution étoile. Au centre de cette constellation gravite Alexandre Landry, un jeune comédien aussi discret que doué, qui chemine bellement sans jamais pavoiser.

Dès sa sortie de l’École nationale de théâtre en 2009, où il joue tour à tour Hamlet ou un Petit Prince aviné, Alexandre Landry a la chance de pratiquer son métier, jouant de cape et d’épée dans le rôle-titre des Aventures de Lagardère, à La Roulotte puis en tournée, avant d’incarner un amoureux toxique dans le téléroman Destinées. Si le petit écran n’a jamais cessé de lui faire les yeux doux, de 30 vies jusqu’au fameux Todore Bouchonneau des Pays d’en haut, c’est par le cinéma qu’il marque assurément les esprits. Son jeune handicapé intellectuel qui s’amourache de Gabrielle est bluffant de vérité dans le film du même nom signé Louise Archambault, tout comme son prostitué sous influence dans le troublant L’amour au temps de la guerre civile, de Rodrigue Jean: deux fortes compositions qui lui valent prix et nominations, entre autres à Angoulême et au Gala du cinéma québécois. Entre-temps, il endosse en 2011 les habits du deuil dans la pièce Tom à la ferme de Michel Marc Bouchard, un rôle qui lui vaudra d’être remarqué par un certain Denys Arcand…

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Denys Arcand    photo : Jan Thijs

Sept ans plus tard, le voilà au cœur du nouveau film de l’un des créateurs les plus emblématiques de notre cinéma (GinaJésus de MontréalLes invasions barbares), qui devait d’abord s’intituler Le triomphe de l’argent, avant d’être rebaptisé La chute de l’empire américain. Tiens donc! «Quand j’ai obtenu le rôle, j’ai regardé tous ses films, certains pour une deuxième fois», avoue l’acteur, particulièrement bon élève. «C’est un dialoguiste incroyable, qui parle toujours en son temps, de nos travers et de nos angoisses, mais aussi de notre lumière. Son intelligence tient d’abord à l’écoute, car impossible d’avoir un tel discours sans te cultiver, lire les journaux, t’imprégner de la société dans laquelle tu vis. Et cette écoute-là se traduit par la liberté qu’il nous accorde sur le plateau, en respectant la part de création de chacun; c’est vraiment précieux.» Entouré de Rémy Girard, Louis Morissette, Maripier Morin ou Pierre Curzi, Landry interprète ici un docteur en philosophie qui, au hasard de son emploi alimentaire de livreur, assiste à un hold-up raté. Une fortune lui pend alors sous le nez, et du même coup sa destinée.

Comme un artisan

Ce grand blond avec un air courtois, la barbe «en jachère» – selon ses propres mots – au moment de l’entrevue, est toujours aussi curieux de tout, surtout de l’Autre. «Je lis plus qu’avant, entre autres grâce aux scénarios et aux références que je grappille autour de moi. Mais j’ai toujours eu un intérêt pour la philosophie. J’ai écrit à Denys que le projet tombait pile-poil dans ma volonté de connaître les différentes doctrines d’hier et d’aujourd’hui. Je lisais Nietzsche, alors que j’aurais pensé que ça m’était inaccessible avant. Quand c’était trop aride, je me disais que ce n’était pas pour moi. Mais le philosophe Marc-Aurèle, par exemple, je connecte vraiment avec sa façon d’appréhender la vie. À 33 ans, je n’ai pas fini d’apprendre. Personnellement, je m’impose des défis. T’as rien à faire? Alors, apprends quelque chose, un jour ça te sera utile; ou sinon, t’auras entraîné ton cerveau!»

Ce qui n’exclut pas pour lui le corps, car ses qualités athlétiques, héritées à la fois des arts martiaux, de la boxe et du temps où l’armée lui permettait de payer ses études d’acteur, l’ont mené vers les rôles les plus divers: tireur d’élite dans Blue Moon, criminel sans envergure dans De père en flic 2, danseur nu dans Cheval-Serpent, puis nouveau riche en fuite chez Arcand. «L’homme fort Elliott Hulse rappelle que le cerveau ne s’arrête pas à la nuque, raconte le comédien. Et ça me parle beaucoup. Mon cerveau se déploie et s’oxygène dans le mouvement, la détente, la méditation. Et c’est une chance que mon métier sollicite autant mon corps que mon cerveau.» La profession est souvent associée, à tort ou à raison, à la performance. «D’un côté, être en santé m’offre plus de possibilités dans ma palette d’interprète, convient Landry. C’est un atout d’être capable de tolérer le stress, de me transformer physiquement. Mais j’essaie aussi de me détacher du souci de performer. Parce qu’à trop vouloir tout contrôler ou impressionner les autres, tu finis par travailler contre toi-même. Je ne compte pas les heures, je fais tout ce qu’il faut pour me préparer, mais après, je plonge comme si c’était la première fois, comme un enfant en train de créer.»

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photo : Antoine Bordeleau

Se tenant loin des micros qu’on voudrait bien lui tendre, vite étourdi par la lumière intense que lui projette la facette glamour du métier, Alexandre se considère d’abord comme un artisan. «J’enregistre mes auditions vidéo dans mon salon ou je répète mes textes dans la forêt. Je suis minimaliste, je porte toujours les mêmes cinq t-shirts! Je préfère ne pas trop m’exposer, pour qu’ensuite les réalisateurs et le public puissent m’oublier derrière un personnage. Devant une personnalité trop connue, à mon avis, c’est plus difficile de croire en la magie. En même temps, Christian Bégin l’a fait magnifiquement dans Le problème d’infiltration…» Et à supposer que l’argent triomphe de tout – du moins il faudra voir le film d’Arcand pour s’en convaincre –, l’acteur a-t-il une valeur marchande comme tout le reste? «IMDb me donne une cote de star, mais à quoi bon? C’est éphémère, parce que ça ne t’est pas intrinsèque. Le jour où tu n’as plus de job, il faut que tu te souviennes que t’as de la valeur. Qui te suit? Combien tu vaux sur le marché? Ça ne veut pas dire grand-chose, ultimement. Mais quand t’as eu une bonne journée, que t’as l’impression d’avoir grandi ou appris, ça, c’est tangible à mes yeux, et personne d’autre que moi peut calculer ça.»

La chute de l’empire américain
Sortie en salle le 28 juin