Genèse à Locarno: Rencontre avec Philippe Lesage
Cinéma

Genèse à Locarno: Rencontre avec Philippe Lesage

C’est à la 71e édition du Festival international du film de Locarno que Philippe Lesage, seul cinéaste canadien de la sélection, présentera en première mondiale son plus récent long métrage intitulé Genèse. Le film met en vedette Théodore Pellerin et Noée Abita. Nous l’avons rencontré sur le tarmac de l’aéroport avant son vol pour la Suisse italienne pour l’un des plus beaux festivals de cinéma du monde.

Voir : Quand avez-vous appris que Genèse faisait partie de la sélection officielle à Locarno et quelle a été votre réaction?

Philippe Lesage : J’ai appris la sélection du film au début du mois de juillet. Nous savions déjà que nous étions en présélection, puis la bonne nouvelle est tombée, ce qui nous a vraiment réjouis. Étant donné la férocité des relations entre les festivals, nous avons dû prendre notre décision en 24 heures. C’est à Locarno que nous ferons la première mondiale de Genèse. Je suis allé au festival de San Sebastián avec Les démons (son film précédent) et je préférais aller cette fois-ci dans un autre festival, sans aucune offense à San Sebastián. Je ne voulais pas avoir l’air d’un habitué et de revenir au même lieu.  

photo Richard John
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Voir : Comment fonctionne le processus de sélection et depuis combien de temps votre film était prêt?

Philippe Lesage : J’ai retravaillé le film pendant une longue période de temps, car j’avais une hantise des longueurs. Je voulais que le film soit parfait et à mon goût. Je travaille sur le montage depuis le mois de décembre et je propose de menues corrections. Je dirais que depuis le premier montage, il y a eu plus de vingt versions. J’avais l’impression d’être un peintre dont l’oeuvre était déjà exposée et qui devait faire des retouches la nuit avant le vernissage. J’ai trouvé intéressant d’avoir le luxe de pouvoir faire cela. Le film avait une version originale de 2h30, ce qui peut effrayer pas mal de monde. 

Voir : Cette durée était nécessaire pour vous?

Philippe Lesage : Je trouvais qu’effectivement c’était trop long. J’avais une certaine écoute par rapport à ce qu’on me disait. Je n’étais pas complètement fermé à l’idée de raccourcir.  

Voir : Avez-vous montré le film à beaucoup de gens?

Philippe Lesage : Je montre mon film souvent aux mêmes personnes, que je trie sur le volet. Après le film, si plusieurs commentaires se recoupent, cela a un impact sur ce que je fais ou sur les rectifications que j’y amènerai. Je demeure à l’écoute et le film est passé de 2h30 à 2h10. C’est quand même un film dans lequel il y a trois histoires. Mon film n’est pas du tout un film choral, mais quand je pense à Short Cuts de Robert Altman, par exemple, il dure 3h10. J’aime en donner beaucoup, mais je dois me méfier de cette générosité. Paradoxalement, on ne peut pas sortir un film de plus d’une heure et demie aujourd’hui tandis que les gens passent des dizaines d’heures à s’empiffrer de séries chez eux pendant les week-ends. Ce qui est acceptable pour les séries et la télévision ne l’est pas pour le cinéma. Je me souviens en tant que cinéphile avoir très tôt aimé des films à la durée non standard comme Le Parrain de Coppola.

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Voir : Pourquoi cette sélection à Locarno est si importante pour vous?

Philippe Lesage : Avec Genèse, j’ai l’impression d’avoir fait un film plus accessible que Les Démons, car il regorge de moments dramatiques qui vont aller chercher beaucoup de gens. Je dois avouer que j’ai été surpris et flatté d’avoir été sélectionné par ce festival qui a la réputation de présenter la crème du cinéma d’auteur et qui déniche les talents.

Voir : Est-ce que cela a un lien avec des cinéastes que vous aimez?

Philippe Lesage : C’est un festival qui a fait découvrir énormément de cinéastes. Avec Les Démons j’étais en compétition officielle avec des cinéastes établis, je voulais que ce soit la même chose pour celui-ci. Et puis le fait de me retrouver en compétition dans la même catégorie que le cinéaste coréen Hong Sang-soo (NDLR: qui a remporté le Léopard d’or à Locarno en 2015 avec Un jour avec, un jour sans) est extrêmement satisfaisant. Et puis il y a aussi le cinéaste le moins connu de la nouvelle vague roumaine, Radu Muntean, qui sera aussi en compétition dans la même catégorie avec Alice T.  J’avais adoré Mardi après Noël et Boogie. Il a une sensibilité dans laquelle je me retrouve et nous avons des thèmes que nous explorons en commun. Finalement, je me retrouve à compétitionner avec des gens que j’aime et que j’admire à la fois.

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Voir : Genèse est un film sur les premières amours. Expliquez-nous pourquoi vous vous intéressez à la jeunesse dans vos films?

Philippe Lesage : Il y a toujours un aspect autobiographique dans ce que je fais au cinéma. C’est encore présent dans ce film-ci, mais de façon un peu plus détournée. Les trois principaux personnages du film ont tous quelque chose qui me ressemble en eux, même le personnage joué par Noée Abita. Je crois à la transcendance des genres. Je peux dire que je ne crois plus vraiment aux genres et le film traite de cela aussi. Après être passé de la fin de l’enfance au début de l’adolescence dans mon précédent film et avoir exploré les peurs reliées à la sexualité, j’explore de nouveau ce thème ici. Je traite du fait que la sexualité est en mouvement, évolue et se transforme au fil des expériences. Le film explore une époque charnière de la vie, entre 16 et 18 ans. À cette époque de la vie, on se questionne sur qui nous sommes et sur ce que nous désirons. Il y a une pulsion de vie extrêmement forte. Et ce que j’aime par-dessus tout de mes personnages et de cet âge, c’est le fait d’aimer sans se protéger. La tragédie de la jeunesse, c’est d’être entouré ou d’aimer les mauvaises personnes et c’est pour cela qu’on souffre en amour. En revanche, et c’est pour cela que j’aime la filmer. Quelque chose qui est toujours en mouvement ne peut être décevant, car il y a une promesse de quelque chose qui est en train de devenir.

Voir : Est-ce que vous avez eu une façon différente de filmer Genèse et Les démons?

Philippe Lesage : Ce sont deux films très différents. Les démons se concentrait sur la vie intérieure d’un enfant avec très peu de dialogue. Genèse est beaucoup plus dans la parole. On filme l’école secondaire, un camp de vacances et le cégep. Il y a des choses que j’avais débutées avec mon précédent film que j’ai peut-être poussé plus. J’adore le plan-séquence, car il se rapproche de la véritable vie. J’adore aussi brouiller les codes entre le documentaire et la fiction. J’ai aussi beaucoup opéré la caméra dans ce film et j’ai utilisé le zoom, que je préfère à la découpe de plans. L’utilisation du zoom évoque aussi tout un pan du cinéma des années 1970 que je vénère. Et puis il est arrivé quelque chose en cours de tournage. Après deux jours, j’ai convié toute l’équipe, car je n’étais pas satisfait des «rush». Tout avait l’air trop propre, léché, tout le monde avait l’air trop bien peigné et je voyais le maquillage. Le tournage n’allait pas dans la direction que je souhaitais, tout avait l’air trop esthétisé. C’est étrange combien aujourd’hui c’est difficile de donner une couleur et une senteur à ce qu’on voit à l’écran et que le décor soit réaliste. C’est certain que cela relève de ma responsabilité aussi alors j’ai demandé à tout le monde d’essayer de tourner avec le même esprit d’urgence et de réalisme que les artisans de la Nouvelle Vague. Dans un film comme les 400 coups, on sent la saleté des classes et quand Antoine Doinel se lève mal peigné le matin tu y crois!

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Voir : Quelle est la qualité de jeu que vous recherchez le plus chez vos comédiens?

Philippe Lesage : Je suis en peu en réaction et cela m’horripile de constater que nombre d’excellents comédiens jouent avec un ton affecté, un ton que personne n’adopte dans la vraie vie, et il n’y a pas ici d’effet de style bressonien qui veut distancier. C’est juste un ton faux et ennuyeux.  

Voir : Comment faites-vous pour éviter cela? Comment les amener vers la zone voulue?

Philippe Lesage : Je fais énormément de prises pour qu’ils soient le plus naturel possible. Je veux les entendre s’exprimer sans aucun effet de style. C’est certain que ce fut fatigant et exigeant pour tout le monde de faire parfois trente prises, mais je te garantis qu’en voyant les rush il y a une différence. Je ne le fais pas par plaisir sadique, mais parce qu’il y a un ton que je recherche et qui finit par surgir du comédien. Dans certaines autres productions, on n’a pas le temps et le mauvais jeu devient la norme.

Genèse sera est présenté le 5 août prochain en sélection officielle au festival de Locarno dans la section Concorso internationale.