Table ronde autour de Pauline Julien : ode à l’insoumise
Vingt ans après son départ, Pauline Julien renaîtra à l’écran comme sur scène, en paroles comme en musique, de concert avec plusieurs artistes déterminées à ce que son legs résonne bien au-delà d’un anniversaire.
Il y a certes une rue qui porte son nom, sur le Plateau-Mont-Royal, littéralement coincée entre celles dédiées à Gerry Boulet et Robert Gravel! De même que la salle Pauline-Julien, dans l’Ouest-de-l’Île de Montréal, au cœur du cégep Gérald-Godin (ces deux-là sont décidément indissociables, mais on y reviendra). Dans la foulée du 15e anniversaire de sa mort – par suicide, rappelle-t-on du bout des lèvres –, Monique Giroux avait organisé un spectacle hommage à cette artiste et interprète phare, et la comédienne Audrée Southière avait livré un solo bien personnel à Espace libre, judicieusement intitulé T’en souviens-tu, Pauline? Mais rien de comparable à la déferlante de tendresse qui la ramènera à nos mémoires au cours des prochains mois.
En décembre, la jeune compagnie Tableau noir fera revivre la correspondance du couple Julien-Godin, La Renarde et le Mal Peigné, dans Je ne te savais pas poète, de nouveau à Espace libre, puis Annick Lefebvre convoquera ces mêmes figures avec ColoniséEs, en janvier, pour les faire résonner dans le Québec d’hier et de demain… au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui! Sur la route, Marie-Thérèse Fortin et Christian Vézina en font de même sous la forme d’un cabaret musicolittéraire, né aux Correspondances d’Eastman, avec Ils ne demandaient qu’à brûler.
Mais trois autres artistes auront donné le coup d’envoi. Avec Spectra Musique, aux récentes Francos, Ines Talbi a piloté avec succès La Renarde: sur les traces de Pauline Julien, une célébration réunissant 14 femmes sur scène, qui reprendront pour la plupart le flambeau dans une douzaine de villes dès février. Inaugurant la saison du Théâtre Denise-Pelletier, à la salle Fred-Barry, avec Je cherche une maison qui vous ressemble, Catherine Allard mènera un «dialogue à quatre» avec Pauline, Gérald, le comédien-poète Gabriel Robichaud et elle-même. Enfin, la cinéaste Pascale Ferland illumine la pasionaria sur grand écran, dans un documentaire à la fois jazzé et troublant produit par l’ONF. Nous avons réuni ces trois dernières porte-parole pour une table ronde à la mémoire de leur «modèle imparfait».
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Voir : Qu’est-ce qui vous fascine autant chez Pauline-la-renarde, cet «oiseau qui aurait une crinière»?
Pascale Ferland : Elle fait partie de la génération de celles et ceux qui étaient prêts à se battre pour leurs idéaux. Aujourd’hui, c’est ce qui nous manque, je crois.
Catherine Allard : Ce qui m’a toujours attiré chez elle, c’est le feu!
Ines Talbi : Oui, le feu sacré.
Catherine : Quand j’ai lu sa biographie, j’ai compris qu’il y avait en elle une grande peine, mais qui se tient debout dans sa voix.
Pascale : C’est ce qui fait d’elle un modèle.
Catherine : Elle ne sait pas comment, mais elle le fait!
Ines : C’est son imperfection, qui est magique. Toutes ses failles, elle ne s’en cachait pas. Ça m’a rassurée, de voir que ça peut être immense, un monument, et être fragile. C’est beau quelqu’un qui tergiverse. Ça l’amenait dans des zones émotives où elle pouvait porter des chansons intensément, même si elles ne lui appartenaient pas. Son pouvoir d’interprétation était viscéral. Ce terme-là, pour moi, c’est Pauline Julien. Et sa relation avec la politique, c’est un peu comme sa relation amoureuse: son pays, c’est aussi Godin. De vouloir qu’il lui appartienne en sachant qu’il peut glisser, et qu’il est à tout le monde.
Catherine : C’était du feu, destructeur parfois, mais toujours du feu! Elle a rencontré son égal, et lui aussi!
Voir : Ça vous agace ou ça vous inspire, qu’on associe toujours Gérald à Pauline?
Ines : Ça m’a gossée beaucoup au départ. J’ai été la première, il y a 20 ans, à ne voir que Godin. Et en rencontrant Pauline par ses écrits, ses chansons, j’ai réalisé à quel point elle est derrière lui, comme Simonne l’a été avec Chartrand.
Pascale : Je ne suis pas d’accord. Mais je suis plus vieille que toi, j’ai grandi avec Pauline. Elle était d’abord beaucoup plus populaire que Godin. À l’époque, il était journaliste, et c’est quand il s’est fait élire en 1976 qu’il a commencé à être connu. Les gens demandaient Pauline pour appuyer sa campagne! Ils se sont entraînés l’un l’autre dans leurs combats, mais Gérald faisait de la politique consciemment, tandis que Pauline incarnait ses qualités individuelles. Elle ne faisait pas de la politique directement, elle s’en défend d’ailleurs.
Ines : Comme dans l’entrevue qu’elle accorde à un journaliste anglophone.
Pascale : Exact. Il lui dit: «You’re a political activist.» Et elle répond: «I’m not a political activist, I’m a citizen like you.» Comme femme, on peut s’identifier à ça. Comme artiste, aussi. C’est pas parce qu’on réagit viscéralement à quelque chose qu’on est des activistes.
Catherine : « Mais je peux pas cacher ce que je pense, je suis entière… » Je l’ai souvent entendue affirmer qu’elle n’est pas une révolutionnaire.
Voir : Croyez-vous qu’il est aussi périlleux aujourd’hui qu’autrefois d’être une artiste engagée?
Pascale : C’est différent, parce que dans les années 1960-70, tout était à construire. Aujourd’hui, il y a une diversité de cultures comme une diversité de points de vue. Tous les combats qui ont été menés sont en nous et peuvent nous guider, mais on vit dans une époque très conservatrice.
Voir : Mais essayez-vous de vous tenir loin de cette étiquette-là?
Ines : Absolument pas. Même si je voulais, on dirait que par instinct, je me retrouve tout le temps dans ces eaux-là. Mais c’est correct, je préfère ça à être dans l’inertie. De toute façon, on est des femmes qui font de l’art! Même si on reste à la maison, et qu’on ne dit rien, on va être considérées comme féministes, parce que notre film ou notre spectacle parle d’une femme.
Pascale : Et c’est féministe!
Ines : Si Étienne Lepage fait un show sur Miron, ils ne vont pas applaudir une action masculine! C’est là malgré nous. Et moi, parce que je suis de la diversité, si je décide de jouer une Julie sur scène, on va me demander pourquoi je le fais. Si je décide de jouer une Tunisienne, on va me demander si c’est à cause de mes racines.
Catherine : Tout est nommé et doit être étiqueté.
Ines : Tout le temps!
Voir : Croyez-vous que son immense talent d’interprète a porté ombrage à la créatrice?
Catherine : Elle n’avait pas confiance en elle. C’était une torture sans nom, écrire une chanson! Ç’a donné L’âme à la tendresse, L’étranger… Sinon, elle n’arrivait pas à trouver son style, c’était un peu ampoulé.
Pascale : C’est pour ça que ça m’a ravie, quand je suis tombée dans les correspondances. Tout d’un coup, sa plume est libre, elle écrit extrêmement bien!
Catherine : Elle est amoureuse!
Pascale : Et même quand elle est en crisse… tu te dis, tabarouette, si elle avait eu cette liberté-là! Quelque chose la retenait, parce que c’était un geste public. Mais avec Gérald, c’était un autre monde.
Ines : Avec Godin, ils se soutenaient dans leur feu. Une déception politique, c’est aussi une grosse peine d’amour.
Voir : Comme un sentiment d’inachèvement.
Pascale : Pour moi qui ai milité en 1995, c’est pire qu’une peine d’amour. Dans les années 1980, elle avait cette capacité de nous élever. Ça me fait penser à l’échec du premier référendum…
Catherine : Elle a chanté La danse à Saint-Dilon!
Pascale : Elle n’avait prévu rien d’autre, parce que dans sa tête, ils allaient gagner. Une chance, parce que si elle avait interprété Mommy… Malgré elle, encore une fois, elle affiche cette résistance viscérale et inconsciente! Et ça dédramatise.
Ines : Elle avait un instinct de survie très fort. De rassembleuse, aussi.
Catherine : Elle m’a consolée si souvent. On est gagnantes, à s’approcher autant d’elle, à faire ce voyage. Ça va être une grande fête de Pauline Julien, cette année!
Ines : On a toutes des propositions différentes, et c’est ça le plus beau. C’est ce qui fait que Pauline est Pauline, c’est tellement vivant.
Catherine : C’est à son tour!
CINÉMA
Pauline Julien, intime et politique
Après Adagio pour un gars de bicycle et Ressac, Pascale Ferland embrasse pleinement ici la dimension sociopolitique de son sujet. «J’en rêve depuis bientôt longtemps. Et j’ai eu accès à tellement de belles archives que j’aurais pu faire deux films. Je voulais d’abord l’appeler simplement Pauline, mais il y avait Pauline Marois, puis L’insoumise, mais ça existait déjà. Au final, intime et politique, c’est vraiment elle.» N’ayant pas d’images des débuts de Julien ni de la fin de son parcours, «parce que sa capacité de s’exprimer s’étiolait», vu son aphasie, Ferland a tissé son documentaire d’ellipses et de métaphores, inscrivant la petite histoire dans la grande, de la crise d’Octobre aux référendums. «2012 m’avait ravie. Pauline, si elle avait été en vie, aurait été dans la rue avec les jeunes, à taper sur les casseroles. J’avais envie de réfléchir aujourd’hui à l’écho des années 1970, si lumineuses.»
En première au FCVQ – 15 et 18 septembre – et en salle dès le 21 septembre
THÉÂTRE
Je cherche une maison qui vous ressemble
Avec l’auteure Marie-Christine Lê-Huu et le metteur en scène Benoît Vermeulen, la comédienne Catherine Allard rattache Pauline à son propre récit de vie, pour mieux ancrer la pièce en 2018. «C’est Marie-Christine qui a trouvé le filon afin que ce ne soit pas juste nostalgique. Mon père m’avait raconté qu’après avoir entendu Pauline chanter, dans les années 1960, au Manitoba, il s’est dit: “Mon Dieu, si c’est ça, le Québec, se tenir debout, ne pas s’excuser d’exister, je m’en vais vivre là-bas!” Il nous faut des exemples de fierté, comme Pauline et Gérald. Ces gens-là m’aident à vivre, alors j’ai envie de parler d’eux.» Et les chansons s’y incorporent naturellement, tel un liant poétique. «Bien sûr, je suis dans l’évocation de Pauline, et non l’imitation, sinon vaut mieux faire jouer le disque! Avec Marie-Claire Séguin, qui m’a coachée, on est allées à l’essence des chanson
Du 11 au 29 septembre 2018
À la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
Du 8 au 19 octobre 2019
Théâtre Périscope (Québec)
SCÈNE
La Renarde : sur les traces de Pauline Julien
Si elle en est l’instigatrice, le projet d’Ines Talbi se voulait d’emblée rassembleur. «J’aimais la force du nombre, et l’idée de ramener cette force collective qu’on retrouvait davantage à l’époque. J’ai donc réuni des personnalités diverses, de la diversité dans tous les sens.» De Fanny Bloom à Queen Ka, d’Erika Angell à France Castel, ces femmes ne quittent jamais la scène pendant la représentation. «Je voulais tout sauf un show-brochette, où l’on vient faire sa toune avant de repartir. Ma trame, c’est que j’écris des lettres à Pauline et l’interroge par rapport à ce qu’elle serait maintenant. J’ai eu une belle carte blanche et j’ai pu ajouter du théâtre dans un spectacle de musique, avec le chœur d’exception que j’avais! Louise Latraverse, elle lit une liste d’épicerie, et c’est touchant!»
Sur la route, au Québec
dès le 21 février 2019