Amat Escalante, au coeur du Mexique
Cinéma

Amat Escalante, au coeur du Mexique

Amat Escalante est un jeune réalisateur de 39 ans qui a déjà derrière lui quatre films à la réalisation brute qui dénotent d’une réelle préoccupation de l’évolution de la société mexicaine. Le Cinéma Moderne à Montréal lui consacre une rétrospective du 1er au 4 novembre. Nous lui avons téléphoné pour en discuter.

«Je suis totalement solidaire des gens qui tentent de trouver un avenir meilleur, surtout en cette époque qui ne semble pas emprunter le plus juste des chemins; celui des murs et des nationalismes», nous dit d’entrée de jeu le réalisateur mexicano-américain.

Alors qu’en ce moment des milliers d’individus forment une caravane humaine et traversent le Mexique, on a eu la bonne idée à Montréal d’inviter l’un des plus importants cinéastes du Mexique contemporain: Amat Escalante.

On voulait connaître son opinion sur la question des sans-papiers, car son deuxième film, Los Bastardos (2008, sélection officielle à Un Certain Regard au Festival de Cannes) s’y penche avec naturalisme et violence. Le film suit la trajectoire de Fausto et Jesus, deux travailleurs mexicains illégaux qui prennent en otage une mère de famille. Avec ce film, on reconnaît une esthétique sans fioriture, qui présente les choses de façon abrupte: tout nous rassemble et pourtant tout nous sépare.

C’est intéressant de constater qu’Escalante est Américain de mère et Mexicain de père. Il porte donc en lui cette dualité, cette tension entre ces deux sociétés qui cohabitent difficilement.

«Je suis tombé en amour avec le cinéma de Charlie Chaplin alors que j’étais tout jeune, à l’occasion d’un petit ciné-club que je fréquentais», dit le réalisateur. «La maison familiale, que j’habite encore aujourd’hui, n’avait alors pas d’électricité. On écoutait la radio plus que la télévision. Mon père est peintre et ma mère faisait de la recherche sur les maladies transmissibles sexuellement, ce qui a certainement teinté certains thèmes de mes films.»

La región salvaje
La región salvaje

Au coeur de son oeuvre, il y a la dislocation de la famille, la culpabilité et l’explosion de violence, qui surgit dans chacun de ses films portés par des acteurs non professionnels. Avec Sangre (2005), son premier film tourné avec à peine 35 000 $, on nous fait vivre l’existence vide de Diego et Blanka, sans musique et sans grands dialogues. Un vide dans lequel surgit la fille de Diego, qui va poser un geste irrémédiable. Ce film est aussi la première collaboration entre le réalisateur et Carlos Reygadas, qui l’a produit.

«Carlos est arrivé très tôt dans mon parcours cinématographique, il s’est tout de suite montré coopératif et ouvert à mes idées», poursuit le réalisateur. «En fait, la seule fois que j’ai travaillé sur un autre plateau, c’est sur le sien (NDLR: il a été assistant-réalisateur sur Batalla en el cielo, le deuxième film de Reygadas). Il a produit mes trois premiers films, il a une vision du cinéma que je partage. La première fois que j’ai vu Japón, j’ai été estomaqué, je lui ai écrit un long courriel pour lui faire part de mon admiration.»

Heli (2013), son troisième film, fut celui de la reconnaissance; il a gagné le prix de la mise en scène à Cannes. Il raconte la vie d’une famille ouvrière troublée par l’incursion des narcotrafiquants dans leur quotidien. Il réussit à mettre en perspective une société mexicaine gangrenée par la corruption d’où peut surgir à n’importe quel moment une violence déraisonnée. Heli était d’ailleurs reparti de Montréal avec la Louve d’Or du Festival du nouveau cinéma.

«Oui, je me souviens de ce festival fabuleux où j’ai gagné un prix», nous explique le réalisateur questionné sur la ville de Montréal. «Je ne m’attendais pas à trouver à Montréal un festival avec un tel goût et une programmation aussi étoffée. Je n’ai que de bons souvenirs de la ville et de mes ballades sur le Mont-Royal.»

La rétrospective au Cinéma Moderne présentera aussi son dernier film, La región salvaje (2016) pour lequel il a gagné le Lion d’argent du meilleur réalisateur à Venise. Un long métrage différent de ses trois premiers films, notamment dû à l’incursion du merveilleux et à l’intérêt porté cette fois-ci sur la cellule familiale et la vie sexuelle de ses personnages. 

En plus de la rétrospective, le Cinéma Moderne présente une classe de maître d’Escalante animée par le cinéaste Mathias Meyer le dimanche 4 novembre à 15h.

cinemamoderne.com