Portrait de Regard: Jorge Camarotti
Dans le cadre du festival Regard, qui amorce sa 23e édition aujourd’hui et se termine le 17 mars, Voir rencontre des cinéastes qui se démarquent et dont le travail est à surveiller. C’est avec Jorge Camarotti, le réalisateur du court métrage Kinship, que nous ouvrons le bal.
Kinship est l’histoire de Rabah (Rabah Aït Ouyahia) et son fils Cédrick (Ryan Nikirad), qui tentent de recréer une famille à deux, après la disparition de la mère. Nous sommes à Montréal aujourd’hui, et l’histoire se déroule dans une famille algérienne.
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Voir: Pourquoi as-tu décidé de faire le saut en cinéma?
Jorge Camarotti: Je crois que tout le chemin qui m’a mené à réaliser mon premier film a un fort lien avec ma carrière de photographe. J’ai senti que l’importance qui était accordée à la photographie déclinait avec l’arrivée du numérique. Il fallait que je continue à produire des images, c’est ce qui m’a amené vers la réalisation. Et puis, il y a une autre histoire, celle-ci plus fortement reliée à mes origines afro-brésiliennes. Dans mon pays, le Brésil, c’est quasi impossible d’envisager une carrière en cinéma si tu n’es pas riche.
Voir: Peux-tu nous expliquer d’où vient l’histoire de ton film?
Jorge Camarotti: Dans le processus d’écriture de Kinship, j’ai découvert beaucoup de choses, dont ma relation avec mon père et ma relation avec mon fils. J’ai perdu ma mère quand j’avais 10 ans, et d’une certaine façon, je pense que j’avais le même comportement que Cédrick dans le film. Je cherchais un coupable à cette perte, et le coupable a été mon père. On ne s’est pas parlé pendant 10 ans.
Voir: Pourquoi as-tu décidé de traduire cette histoire personnelle par le truchement d’un père et d’un fils algériens à Montréal?
Jorge Camarotti: J’essaie toujours de traduire le contexte de l’immigration dans mon travail. Quand on immigre, on vit un deuil, de la solitude et l’on perd un peu de notre identité. Par ailleurs, je sais par expérience que vivre des difficultés financières chez soi ou dans un pays étranger, ce sont deux choses totalement différentes. Comme immigrant, on n’a pas le même filet social.
Voir: Comment as-tu fait le choix de ton comédien principal?
Jorge Camarotti: J’ai vu une photo de Rabah Aït Ouyahia sur l’affiche du film L’ange de goudron de Denis Chouinard et il y avait quelque chose dans son visage qui évoquait mon père. Rabah est quelqu’un qui a aussi des règles très précises dans la façon de vivre sa vie matérielle et spirituelle. Mon père avait aussi une vie faite de règles assez strictes.
Voir: Tu fais quelque chose que l’on ne voit pas assez dans le cinéma québécois; dépeindre la vie de tous les jours des membres d’une communauté culturelle, sans folklore ni fioriture. Est-ce un thème sur lequel tu penses construire ta filmographie?
Jorge Camarotti: Je viens de Sao Paulo, une ville énorme. À l’époque, je fréquentais une fille qui venait du nord du Brésil et elle me parlait souvent de la difficulté qu’elle rencontrait à s’adapter à cette ville. Je n’arrivais pas à comprendre qu’on ait du mal à s’adapter à une ville, qui par définition accueille les gens de partout dans le pays et dans le monde. J’ai compris ce qu’elle voulait dire bien des années après, lors de mon arrivée à Montréal en 2003. Lorsque je suis devenu immigrant moi-même, il y a eu un déclic qui s’est fait par rapport aux paroles de cette ancienne amoureuse. Ce thème est un moteur aujourd’hui pour moi, il me donne l’énergie de créer.
Voir: Ton travail de photographe trouvait-il là aussi sa source?
Jorge Camarotti: J’ai décidé de faire de la photographie après avoir vu une exposition de l’artiste brésilien Sebastião Salgado intitulée Exode. Je me souviens du sentiment qui m’habitait face à ces gigantesques photos. J’ai été incapable de terminer l’exposition tellement j’ai été bouleversé. J’ai réalisé à ce moment que mon petit monde de Sao Paulo ne voulait rien dire à l’extérieur. Je trouve que l’immigration est une expérience bénéfique pour la société et pour la personne qui doit s’adapter. L’immigration nous fait tous démarrer au même point.
Voir: Tu dédies ce film à ton père. Parle-nous un peu de cela.
Jorge Camarotti: En terminant le montage du film, j’ai ajouté ces mots: Ao meu Pai. En devenant à mon tour papa, j’ai compris ce que mon père a pu vivre avec moi quand j’avais l’âge du personnage de Cédrick.
Voir: Comment s’est déroulé le travail avec le directeur de la photographie, Nicolas Canniccioni?
Jorge Camarotti: J’ai adoré son dévouement et le temps qu’il a pris pour préparer le tournage. On a eu une rencontre de photographe à photographe sur le plateau du film. Pour moi, c’était hyper important. Je voulais avoir une totale confiance pour me concentrer sur la réalisation et je l’ai obtenue.
Kinship est présenté ce week-end à Regard au Saguenay