Portrait de Regard: Meryam Joobeur
Cinéma

Portrait de Regard: Meryam Joobeur

Dans le cadre du festival de courts métrages Regard, Voir rencontre des réalisateurs qui se démarquent et dont le travail est à surveiller. C’est avec Meryam Joobeur, la réalisatrice de Brotherhood, que nous avons décidé de poursuivre la conversation.

C’est auréolé de plusieurs prix, dont celui du meilleur court métrage canadien au TIFF qu’arrive le récit bouleversant de Meryam Joobeur sur les écrans du festival Regard. L’histoire est celle d’une famille d’éleveurs de moutons du nord de la Tunisie dont l’équilibre est bousculé par le retour de Syrie du fils aîné. Une fiction sur la filiation et les malentendus, et sur un sujet d’actualité: comment se déroule le retour au pays de ces milliers de jeunes partis grossir les rangs de la nébuleuse djihadiste Daech.

VOIR: C’est étrange de faire cette entrevue avec vous aujourd’hui, à la suite de ces violences survenues en Nouvelle-Zélande (l’entrevue a lieu le 15 mars, jour des attentats contre deux mosquées de Christchurch). Meryam Joobeur, quelle est ta définition du mot «brotherhood»?

Meryam Joobeur: J’ai utilisé le mot «brotherhood», car il revêt plusieurs sens. Il y a l’idée de filiation avec les trois frères qui sont dans le film et il y a l’aspect religieux que signifie ce mot. Cela me donnait plusieurs axes thématiques pour le film.  

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VOIR: Est-ce que le père Mohammed est un homme religieux et est-ce que tu as voulu confronter sa foi à celle de son fils et de l’idéologie salafiste qu’il a embrassée?

Meryam Joobeur: Je vois Mohammed comme ma famille: un musulman modéré qui se bat contre les idéologies extrémistes. C’était important de le montrer ainsi pour représenter ce que le retour de ces combattants provoque dans notre tissu social en Tunisie.      

VOIR: Est-ce que tu peux nous parler de Mohammed (Mohammed Graïaa), le père, éleveur de moutons, qui est-il?

Meryam Joobeur: Au départ, c’est un homme qui a un sens aigu de ce qui est bon ou mauvais, de ce qui est juste ou injuste. Avec le retour de son fils et les révélations qui accompagnent ce retour, la morale de cet homme est ébranlée et il doit se battre avec celle-ci. Mohammed est en lutte contre ses certitudes dans ce film.

VOIR: J’aimerais t’entendre nous parler du personnage féminin, Salha (Salha Nasrali), la mère des ces trois frères, de son importance dans l’histoire.

Meryam Joobeur: Elle est celle qui se bat pour garder la famille ensemble. Elle est avant tout la mère de Malik, mais cet amour la rend quelque peu aveugle sur ce que son fils a pu faire en Syrie. Je suis en train de développer un long métrage tiré de cette histoire, dans ce film je vais me concentrer sur les limites de l’amour maternel. Plus elle va en apprendre sur le passé de son fils avec Daech, plus son amour inconditionnel va être confronté.

VOIR: Comment le fim a été reçu en Tunisie?

Meryam Joobeur: Nous avons fait la première du film au festival des journées cinématographiques de Carthage. Le film a bien sûr résonné dans l’imaginaire du public tunisien. J’étais hyper curieuse de connaître la réaction du public. Nous avons eu plein de discussions autour du film et de ses thématiques, ce fut très fertile en idées et en réflexions. Nous avons projeté le film dans mon village de Sayada et puis aussi dans le nord de la Tunisie où le film se déroule. Nous avons même fait une projection avec uniquement des femmes de la communauté où il nous a été possible de discuter de communication dans les couples d’aujourd’hui.  

VOIR: Est-ce que tu peux nous raconter l’histoire de ta rencontre avec Malek, Chaker et Rayenne, qui sont trois véritables frères dans la vie?

Meryam Joobeur: C’est une histoire que j’aime raconter parce que je la trouve très intéressante. J’étais en roadtrip dans le nord de la Tunisie avec mon directeur photo Vincent Gonneville pour un tout autre projet et nous avons croisé deux des trois frères qui menaient leur troupeau dans les champs. J’ai tout de suite été fasciné et eu un contact visuel très fort avec Malek. On a voulu les photographier, mais ils ont refusé. Plus tard, en me documentant sur le sujet, j’ai réalisé que cette région avait eu un grand nombre d’hommes qui avaient quitté la région pour aller se battre aux côtés de Daech en Syrie. Cela m’a choqué sur le moment, car je trouvais que cela contrastait avec la beauté des lieux. En même temps, cette région n’a pas d’eau courante et les familles doivent parfois marcher pendant plusieurs kilomètres pour aller à l’école. La vie y est très difficile. Ces frères viennent de la région de Sajnan en Tunisie, qu’on pourrait traduire librement par «deux prisons».  

VOIR: Est-ce que le travail avec les trois frères fut ardu? Comment tu t’y es pris pour les faire jouer, eux qui n’ont aucune formation?

Meryam Joobeur: Tout cela est une question de confiance installée entre leur famille et moi. Cela a pris un certain temps d’avoir l’assentiment du père pour que les garçons aient l’autorisation de tourner. La véritable histoire de ce film prend sa source dans la confiance que les trois garçons bergers m’ont accordée d’office. J’ai beaucoup appris de cette expérience de tournage, ils m’ont beaucoup donné.   

Brotherhood est présenté ce week-end à Regard au Saguenay. Le festival se poursuit jusqu’au 17 mars.

festivalregard.com